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Le Tchouk, une bière locale de plus en plus prisée par les Togolais

un cabaret de Tchouk
Le Tchouk, une bière locale de plus en plus prisée par les Togolais

De la bière locale, il y en a plusieurs variétés au Togo,  avec des saveurs et des particularités diverses. Mais, le Tchouk, préparé sous divers noms chez les Kabyè, les Losso, les Moba, et autres peuples du Nord Togo, se particularise par son audience et sa capacité à être un véritable vecteur participant à la sociabilité et à la cohésion sociale. Prisée de beaucoup de Togolais, cette boisson était destinée, à l’origine, aux cérémonies de tout genre. Elle est, aujourd’hui, une source de revenu pour de nombreuses brasseuses qui rivalisent sur le marché avec la bière industrielle, une boisson pas toujours à la portée de toutes les bourses.

L’un des points de loisirs les plus prisés par les fans des boissons locales est le marché de vente de Tchouk, une bière mousseuse et alcoolisée, préparée essentiellement à  base du sorgho, céréale cultivée partout dans la sous-région ouest-africaine. A Lomé comme ailleurs dans d’autres villes, il n’est plus rare de voir une petite calebasse ou un petit pot suspendu à un piquet au carrefour. C’est le signe indicatif des points de vente de « Tchoukoutou » ou en abrégé « Tchouk » pour les intimes, une boisson artisanale, revenue en grâce au Togo, face à la cherté de la bière industrielle (550 F CFA à 850 F CFA la bouteille de bière de 65 Cl, contre 100 F la calebasse de Tchouk de plus de 33 cl). Cette boisson, qui jouit d’une grande audience, se vend dans des maisons, aux abords des rues et même dans certains marchés. Ce sont généralement des points de loisirs qui rassemblent les clients d’horizon divers. Souvent, la vente de la boisson est associée à celle des viandes et de la nourriture. L’on peut y aller manger et boire. D’autres femmes brasseuses, plus ingénieuses, y associent aussi la musique. Ceci, dans l’intention d’attirer surtout de nombreux jeunes qui s’offrent le luxe d’esquisser des pas de danse, à la faveur de la boisson qui a commencé par « libérer les énergies » ou « briser les ressources ». On y joue de la musique moderne, tout comme on peut danser au rythme des morceaux relevant de la tradition : « Tchimou », « Kamou », « Tbol », « Agbadja » et autres. Les cabarets de Tchouk constituent donc des marchés composites qui nourrissent de nombreuses familles. Mais, un fait frappant : ces cabarets offrent le cadre de toute une école de la société, du savoir vivre dans la diversité.

Le Tchouk, un vecteur de cohésion sociale

A Adéwi, Mazahalo est une femme réputée pour son Tchouk d’une rare qualité. Chaque samedi, déjà à 9 h, sa cour est remplie de jeunes qui, en revenant du sport, font escale chez elle. Le temps de trinquer à coup de Tchouk ou de se divertir autrement pour le reste de la journée. En effet, certains, après le sport, trouvent une grande joie de consommer un beignet de haricot, en l’accompagnant de la boisson. D’autres préfèrent la viande du porc vendue sur place ; d’autres encore optent pour la pâte. Pendant ce temps, les anecdotes et les blagues ne manquent pas. Point besoin de savoir d’où vient son voisin d’à côté. On peut l’emmerder, puis finir par lui offrir une calebasse et se séparer, en prenant rendez-vous de se retrouver à une prochaine occasion. Pour beaucoup, c’est l’aventure d’une amitié solidement enracinée.

« Moi, je viens chez Mazahalo pour les blagues et les débats que les gens entretiennent chez elle. Les gens dansent pour se rappeler leur provenance. Ils se critiquent, ils s’emmerdent et finissent par s’accepter. C’est une école de la vie. Nul ne vient ici s’il n’a le cœur. Quand je suis ici, je  ne m’ennuie jamais. C’est formidable », a témoigné Justin, un enseignant d’une école privée.

Le Tchouk n’est pas seulement un vecteur de sociabilité. Ce précieux breuvage, préparé dans de grosses marmites posées sur de grands fourneaux, est tenté par les amoureux qui se la partagent lors de leurs rencontres, surtout quand les moyens ne sont pas réunis pour s’offrir une bière manufacturée, ou quand le plaisir les prend de partager l’ambiance du marché du Tchouk, tout en discutant de leur relation. Ailleurs, lors des réjouissances populaires, telles que l’organisation de la danse Kamou, de Tchimou et autres manifestations, le Tchouk est toujours au rendez-vous et fait la fierté de beaucoup de gens.

Le Tchouk, en faire une fierté nationale !

En fait, le Tchouk n’est pas seulement pris pour sa dose pondérée en alcool ou sa saveur aigre-douce. Certains le consomment en soutenant qu’il est nutritif par rapport aux liqueurs locales. D’autres le prennent avec le rêve d’en faire une fierté nationale. « Certains hauts cadres, même des ministres, envoient leurs collaborateurs leur acheter quelques bidons qu’ils partagent chez eux avec des amis, venus d’ailleurs. C’est une fierté pour notre pays. Nous devons consommer les produits +made in Togo+ et les valoriser », fait valoir « Maman Mardi et Jeudi », une revendeuse de Tchakpalo, variété de Tchouk relevant de la spécialité des Moba. Pour cette femme revendeuse, fonctionnaire de son état, à la retraite, « consommer les produits locaux est une nécessité, en raison des variations de taux de change et du coût élevé des importations ou des produits manufacturés ». Son analyse est partagée par un garagiste à Lomé, M. E. Dodji, qui « s’est rabattu sur le Tchoukoutou, depuis cinq ans, parce que la bière vendue en bouteille coûte de plus en plus chère. Avec la boisson locale, j’éprouve pratiquement le même plaisir et à moindre coût ». Pour ce dernier, il faut fortement encourager les initiatives qui ont commencé à émerger, cherchant à embouteiller le Tchouk et à la produire dans les conditions de qualité requises. Selon lui, cette boisson, avec ces initiatives, pourrait, un jour, « devenir un patrimoine national », à l’instar d’« Atchèkè », en Côte d’Ivoire.

En somme, l’avenir du Tchouk est encore devant nous. Pourtant, ce n’était qu’une boisson destinée aux cérémonies, à l’origine.

Une boisson destinée aux rites

En pays Kabyè, par exemple, le Tchouk, à l’origine, est appelé  « Eléoulêm », c’est-à-dire « l’eau du diable ». Ce nom, quelque peu péjoratif, renvoie au rôle de  cette boisson dans la tradition. Servie dans les calebasses, récipients fabriqués à partir de cucurbitacées, le Tchouk, par le passé, était essentiellement utilisé au cours des cérémonies. Les ancêtres l’utilisaient lors de leurs prières aux fétiches. C’est une boisson pour évoquer les mânes des ancêtres. Aujourd’hui, cette boisson continue de jouer ce rôle, tout en embrassant d’autres aspects de la vie. « Nos ancêtres faisaient sortir cette boisson pendant les funérailles des notables et lors des grandes cérémonies, des occasions où les gens chantent, dansent et boivent sans modération. Aujourd’hui, il n’y a pas de funérailles d’un défunt âgé sans Tchoukoutou. Lors des coopératives agricoles, on prépare Tchoukoutou ; au mariage ou lors de la remise de la dot, il y a nécessairement cette boisson. Faites plaisir à l’étranger chez vous en le faisant goûter Tchoukoutou, il vous en sera reconnaissant ! C’est dire que cette boisson a évolué, en intervenant dans bien d’autres aspects de la vie sociale », a fait valoir le vieux Bignandi, surpris sous une calebasse à Adéwi, un quartier de Lomé. Il va loin, avançant que le Tchouk disposerait de vertus thérapeutiques car, « nos grands-parents le prenaient, de retour des champs, pour enlever ‘‘le soleil ’’ (la fatigue) ». Tout comme ce vieux, beaucoup pensent, de nos jours, que le Tchoukoutou  disposerait de valeurs médicinales. Selon ces derniers, cette boisson aiderait à soigner le paludisme et à retrouver toute la force, mais attentions, ces vertus ne sont attestées par aucune recherche fiable.

Reste que cette boisson demeure un alcool et que son abus peut être préjudiciable à la santé de l’homme, surtout par ces temps, où certaines femmes se permettent d’associer des tisanes à la préparation, pour, soit disant, améliorer la qualité de la boisson. Discernement et modération doivent donc accompagner sa consommation.

Bernardin ADJOSSE


 

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