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Effets du COVID-19 à la gare routière d’Agbelepodogan : Des chauffeurs dans l’attente de regagner leur famille

vie au ralenti à la gare routière d'Agbalepedogan
Effets du COVID-19 à la gare routière d’Agbelepodogan : Des chauffeurs dans l’attente de regagner leur famille

Les mesures prises par le gouvernement pour contrer la propagation du coronavirus au Togo affectent sérieusement les activités dans les stations routières du pays. A Agbalepedogan, l’une des grandes gares routières qui accueille la plupart des transporteurs venant du Nord, plusieurs chauffeurs sontpris en otage par  cette majeure crise sanitaire du siècle. Contraints subitement de garer leurs voitures suite à l’application de ces mesures, ces conducteurs  ont élu domicile à la gare, avec espoir que le gouvernement ouvre les voies pour leur permettre de regagner leur famille. Les chauffeurs, autant que les petits commerçants des lieux, sont tous conscients des menaces mortelles que représente cette abominable maladie qu’est le  coronavirus. Chacun, à sa manière, participe à la sensibilisation des passagers et clients, afin  d’observer ces mesures de riposte contre cette pandémie, qui ne cesse d’impacter négativement sur leurs activités vitales. Les regards de tous sont tournés vers  le gouvernement,invité à les appuyer pour faire face à la vie qui se vit au quotidien dans cette gare où chauffeurs et autres acteurs redoutent des jours plus difficiles.

A la gare routière d’Agbalepedogan, habituellement, les vendredis et samedis  sont marqués par une affluence de passagers. Ce sont des  jours de prédilection pour beaucoup  qui prennent les véhicules en direction des villes du nord où ils vont pour diverses raisons : commerce,   loisirs,  funérailles ou enterrement d’un parent et autres choses. Mais  vendredi et samedi derniers, la réalité était toute autre chose dans cette gare. Les lieux s’apparentaient à un village frappé d’un deuil. Seuls quelques véhicules chargés de bagages avaient stationné.Les commerçants, facilement dénombrables d’un bout à l’autre de la gare, étaient assis devant leurs marchandises en solitaires désespérés. Certains conducteurs, privés de leurs voitures, tuaient le temps de ce  chômage conjoncturel par le jeu de Ludo, tandis que d’autres discutaient en petits groupes de trois ou cinq personnes sur cette crise sanitaire sans précédente. Une ambiance de vie en veilleuseobservée depuis l’entrée en vigueur des mesures complémentaires prises par le gouvernement en vue de préserver  la vie des Togolais contre la propagation du redoutable coronavirus.

En effet, le bouclage de certaines villes comme Lomé, Tsévié, Kpalimé et Sokodé a réduit la libre  circulation des personnes sur l’ensemble du territoire. Beaucoup de  transporteurs, rattrapés par cette mesure, alors qu’ils étaient en déplacement, n’ont pas pu faire le retour à leurs lieux  de provenance. Du coup, ces derniers se sont retrouvés séparer  physiquement de leurs familles. Ils se retrouvent à la gare routière où ils ont désormais élu domicile. Angoisse, amertume et lamentations constituent le partage de leur nouvelle viede chaque jour, dans une situation pas toujours facile à supporter. « Depuis dimanche, j’ai quitté Bassar pour Lomé, on devrait retourner lundi soir. Mais au moment de retour, la route a été bloquée au niveau du péage. On était là jusqu’à 23h quand on nous a renvoyé de revenir à la gare. Le lendemain, nous avons garé à la station Oando où des agents de la gendarmerie sont venus nous compter. Nous croyions  qu’ils nous comptaient pour  pouvoir nous convoyer  et rentrer dans nos maisons. Mais ils nous ont retournés pour garer au camp, nous disant qu’ils vont dénombrer les passagers, puis prendre leurs identités avant de rentrer. Depuis, mardi on est toujours à la même place. On ne mange pas, on ne sait où dormir ; les véhicules toujours garés. Nous demandons pardon à l’Etat de  voir notre situation pour nous faciliter les voiesd’entrée chez nous… Nos passagers se sont dispersés sans payer, c’est difficile pour nous… »,témoigne le chauffeur du tronçon Lomé-Bassarsurnommé « Avec le temps ».

Selon M. Bana, délégué du Syndicat Libre des Conducteurs du Togo, section Lomé-Sokodé, « nous sommes cent pour cent conscients que la maladie existe. Avant  on prenait les passagers. Mais maintenant, c’est seulement les marchandises que nous prenons, suivant les mesures prises par le gouvernement pour contrer le Coronavirus. Mais au-delà de ça, quand un étranger arrive, on essaie de le sensibiliser pour se protéger la bouche et le nez et se laver bien les mains. Mais, le fait de nous bloquer et de ne pas retourner chez nous, pose de sérieux problèmes. Présentement à la gare ici, si vous remarquez, vous allez voir que les gens sont nombreux. Certains sont des étrangers et sont de passage comme nous…  Au moins avant que le gouvernement ne prenne cette décision de bouclage, il fallait nous donner au moins 72h pour prévenir tout le monde. Ça n’a pas été le cas. On s’est réveillé un matin comme ça ; on nous dit qu’il n’y a plus de circulations interurbaines. Les gens sont obligés de rester sur place pendant trois jours sans se laver.Difficilement ils arrivent à manger. Nous avons des passagers ici, certains viennent du Ghana, du Nord du pays et d’ailleurs. Ils ne connaissent personne à Lomé et sont bloqués ici. C’est surtout de ce côté que l’Etat doit essayer de voir. Au moins s’il pouvait faire quelque chose à  notre niveau, pour que les gens puissent se déplacer, on allait applaudir encore plus fort ». Ce délégué syndical appelle à « des décisions pragmatiques dans un pays où la grande majorité vit au quotidien ».   En cela, il préconisede former les délégués syndicaux sur comment sensibiliser les passagers « en matière de ce qu’il faut faire avant de monter à bord d’un véhicule ». A son avis, les conducteurs sont déjà résolusà ne plus prendre plus de trois passagers. Tous les conducteurs étaient d’avis pour cette alternative de crise quand « tout le monde a été surpris par la décision du gouvernement… Evidemment, cette décision va dans le sens de notre propre sécurité. C’est une bonne décision. Mais, vu que  le Togolais,comme moi par exemple, vit au quotidien, et qu’il  faut sortir avant de trouver à manger, le fait qu’on reste sur place  finira par éclaterles gens qui  vont commencer par crier.Je souhaite vivement qu’il faut revoir ce problème, en mettant, par exemple, les agents de sécurité à la gare pour détecter d’éventuels malades et laisser les autres voyager. Ce serait une bonne chose pour continuer nos activités », a-t-il suggérer. A ces dires, le transport des marchandises est autorisé. Mais pour transporter  les bagages, il faut enlever les sièges et ne laisser que deux places pour le chauffeur et son apprenti. Dans ces conditions, le véhicule doit être complètement chargé avant de sortir, car sans bagages aucun véhicule ne sort  et les agents de la sécurité sont postés à la  sortie de la gare pour le contrôle strict, a-t-il  expliqué.

Une arête dans la gorge des petits commerçants de la gare

La crise sanitaire mondiale liée au coronavirus n’affecte pas seulement les conducteurs. Les petits commerçants des gares routières en pâtissent également. La rareté des passagers n’est pas de nature à arranger leurs affaires. Dame Akuvi, revendeuse de petits poissons n’a pratiquement rien vendu depuis trois jours. Elle et ses voisines d’à côté redoutent un avenir sombre pour leur famille, si cette crise perdure et « si l’Etat ne prend pas des dispositions pour assister les commerçants les plus fragiles. Nous allons mourir de faim si ça continue. Coronavirus est une arête dans nos gorges. Cette maladie a bloqué toutes nos activités», se plaint-elle d’une voix affligée, masque en pagne au nez et à la bouche pour se protéger.

Même son de cloche du côté de M. Nadibou, propriétaire de lacafétéria« la Liberté », qui trouve que cette crise est suicidaire pour son activité. « Ça ne va pas. Corona virus a tué tout.  Nous vendions d’habitude 30 à 35000 FCFA par jour.Présentement, nous vendons à peine 7000F par jour, rien ne marche. Je risque même de fermer.Les employés qui m’aident à travailler, je n’arrive pas à les payer ; tout est bloqué et rien ne bouge. On demande le secours de l’Etat », a-t-il lancé. Visage plein de regret, il doigte un groupe de clients assis. « Tous ces gens que vous voyez assis là-bassont des chauffeurs. Ils sont bloqués  à la station et ne savent pas où dormir. A chaque moment, ils sont avec moi et beaucoup n’ont pas d’argent. Je les vends les choses à crédit.Car, pour la plupart, nous nous connaissons il y a plus de 10ans. Nous sommes devenus des amis et je ne peux pas les laisser mourir de faim, parce qu’ils n’ont pas d’argent… Mais combien de temps cela va durer ? Moi aussi j’achète à crédit », renseigne-t-il, en indiquant son livreur d’œufs à qui il doit présentement une somme de 10000FCFA. Ce dernier, apparemment étonné par le franc parler de son débiteur, lui a simplement répondu par un léger sourire d’espoir.Espoir que cette crise finira par la grâce de Dieu, conjuguée aux efforts de tout un chacun à observer les consignes édictées par le gouvernement : se laver régulièrement les mains au savon ou les désinfecter à base du gel hydroalcolique, porter les masques protecteurs, tousser ou éternuer dans le creux du coude, éviter des lieux de rassemblement, signaler chaque cas suspect au numéro vert 111…

Bernardin ADJOSSE

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