Jadis en phase avec les recommandations internationales, en matière de conservation de la biodiversité, le Togo a vu ses aires protégées (AP) sérieusement soumises à une pression anthropique
Ses 83 forêts classées, qui couvrent 790.000 hectares, soit 14% de sa superficie, ont été envahies par les communautés à partir des années 90, pour y faire de l’agriculture, du pâturage et même pour s’y installer. Dans le cadre du processus de réhabilitation, entrepris depuis 2000, le gouvernement, avec l’appui de certains partenaires, met en œuvre le Projet de Renforcement du Rôle de Conservation du Système National d’Aires Protégées du Togo (PRAPT). Pour la réussite de ce projet, l’implication des médias et des organisations de la société civile (OSC) est sollicitée, afin de sensibiliser et de susciter l’adhésion des communautés au projet. D’où un atelier à leur intention, tenu du 8 au 11 janvier dernier, à Sokodé, pour en faire des ambassadeurs des AP, dans le temps et espace. La rencontre a permis de comprendre les causes et les conséquences liées à la dégradation de ces aires, ainsi que le bien fondé du PRAPT et des AP, en matière économique, environnementale et sociale.
Les aires protégées sont, par définition, des espaces géographiques consensuellement délimités et bornés, servant à sauvegarder le peu de la biodiversité disponible. Elles sont considérées comme des sanctuaires où la faune et la flore peuvent être sécurisées pour les générations actuelles et futures. Malgré les efforts de conservation de la biodiversité, entrepris par le gouvernement, les aires protégées du Togo continuent de subir des menaces diverses. Les conséquences de ces menaces sont, entre autres, la raréfaction de certaines espèces végétales et animales, la diminution de la couverture forestière, la perte d’habitat et de biodiversité, l’érosion des sols, la réduction de la disponibilité des bois de feu et d’œuvre, la réduction de la disponibilité des produits forestiers, l’augmentation du temps de travail des femmes, le changement des régimes hydrologiques, la perturbation climatique. C’est pourquoi le gouvernement, à travers le ministère de l’Environnement et des Ressources forestières, s’évertue à favoriser l’implication et la participation des collectivités locales, ainsi que de tous les acteurs, dans l’application des politiques de réhabilitation de l’’ensemble des aires protégées. En effet, suite aux bouleversements socio politiques des années 90 et le retrait des partenaires au développement, le cadre juridique de gestion des AP n’a pu être mis en œuvre. Aussi, les forestiers n’ont-ils pas eu de formation et de moyens adéquats pour assurer leur fonction régalienne, si bien que le système a été dégradé. Le gouvernement étant conscient de l’importance des AP, s’est résolu, avec l’appui des partenaires au développement à inverser la tendance.
Comprendre les causes de l’envahissement
Pour l’envahissement des AP, les populations évoquent, en premier lieu, la pauvreté. Un phénomène qui les amène à aller chercher le bois de chauffe ou à faire de la carbonisation pour la survie. La deuxième cause est le manque d’adhésion au processus de réhabilitation de ces communautés, échafaudées par la gestion ancienne des AP, pensant que la gestion serait toujours brutale et exclusivement sous le monopole du gouvernement. La troisième raison est liée à l’administration elle-même qui, dans le sens d’aller vers l’apaisement et la gestion participative, est devenue complice de certaines choses qui ne se font pas dans d’autres pays. Tout ceci, ajouté aux interférences politiques, notamment au cours des élections, fait que la gestion des AP éprouve de sérieux problèmes. Ce que déplore le coordonnateur national du PRAPT, le Cdt Afoda Chamsoudine : « Malheureusement, ces comportements nous entraînent dans un cercle vicieux. Plus vous détruisez les ressources, plus vous manquez de pluies, plus les impacts des changements climatiques se font accrus. Le bol de maïs ou de riz que vous pourriez acheter à 1000F par exemple, vous allez l’achetez à 2000F, parce qu’une pluie a manqué et la récolte a été mauvaise. Ensuite, les produits que nous cherchons, les plantes médicinales dont nous avons besoin, on ne les trouve pas dans les zones banales. Si on arrive à détruire également les richesses des zones protégées, cela veut dire que les générations futures ont des problèmes. Il y a une dizaine d’années, la faune était abondante. Mais aujourd’hui, pour voir un gibier, il faut aller très loin. A cette allure, un jour, nos enfants iront en Occident pour voir un lièvre, sans même parler des grands mammifères comme les éléphants ».
La mise en œuvre du PRAPT
Le processus de réhabilitation des AP a commencé en 2000, avec l’appui de la coopération française et de l’UE. Ce processus est poursuivi actuellement avec le PRAPT, financé par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), le PNUD, la Commission de l’UEMOA et le gouvernement togolais. Aujourd’hui, les AP ont, à nouveau, été délimitées et des zones suffisamment envahies rétrocédées aux populations, pour des causes agricoles. C’est l’exemple du complexe Oti Kéran Mandouri (OKM) qui ne conserve que 179.000 ha sur 310.000 ha initialement. Malfakassa est bornée à 90%, la forêt d’Alédjo, les monts Balam, la Forêt d’Abdoulaye le sont à 100%.
Les dossiers de requalification sont soumis au gouvernement pour adoption, de façon à leur donner une nouvelle vocation. Le projet prévoit améliorer le cadre politique, juridique et institutionnel de gestion des AP. Beaucoup d’études ont été réalisées pour aboutir à l’élaboration de la stratégie nationale de gestion des AP, avec des axes stratégiques assortis d’un plan d’action quinquennal, de façon à permettre à l’administration forestière de gérer au mieux les AP. Il est également élaboré la stratégie et le mécanisme de financement durable. L’étude a aussi révélé que l’encrage institutionnel pour la gestion des AP est dépassé et ne permet pas d’assurer une bonne coordination des actions de suivi. Elle a alors recommandé vivement que le gouvernement lorgne vers la création d’un office national consacré à la gestion des AP, avec pour mérite de fidéliser le personnel et de mobiliser des ressources nationales qu’internationales pour la gestion de ces aires.
Sur la situation des AP au Togo, notons que de 1935 à 1959, le colon avait institué 83 forêts classées couvrant 790.000 ha, soit plus de 14% de la superficie du Togo. Après leur envahissement, à partir des années 90, le processus de réhabilitation a fait l’état des lieux et déclassé celles qui sont à 100% envahies. Partant du principe que « celui qui trop embrasse, mal atteins», le gouvernement se focalise, depuis 2005, sur 12AP prioritaires, avec l’idée d’atteindre des 10%. Cependant les Objectifs d’Ahiti exigent à chaque pays d’avoir au moins 14% de la couverture en AP, d’ici 2030. Or, au début de la mise en œuvre du PRAPT, en 2012, le Togo était à 6%. Actuellement ce taux est porté à 9%, sans compter les acquis du complexe OKM déclassés par mesure d’apaisement.
Des actions pour susciter l’adhésion des communautés concernées au projet ?
Si les AP ne donnent pas assez au PIB, elles gardent toute leur importance, en terme d’amélioration des conditions de vie des populations, de réduction des effets des changements climatiques, de la pluviométrie, du bois mort, des produits forestiers non ligneux et même la chasse avec le trop plein des animaux qui viendrait au niveau des villages. Ce qui suppose qu’on puisse continuer la sensibilisation des riverains pour leur faire comprendre que la gestion passée n’est plus de mise. « Maintenant c’est la cogestion, si bien que nous avons entamé déjà des activités génératrice de revenus (AGR). A titre pilote, nous avons financé 20 microprojets, dont 15 projets apicoles d’envergure moderne et 5 projets de production de beurre de karité. Ajouté aux formations que nous leur donnons sur la vie associative, le marketing et la recherche de financement. Je pense que cela aura un effet amplificateur et réduira la pauvreté », a expliqué le coordonnateur du PRAPT.
En outre, il a été réalisé, notamment à Malfakassa, 20 forages à motricité humaine comme geste de démonstration. Mais le Cdt Afoda en appelle à une synergie d’actions gouvernementales, pour pourvoir en eau potable, en électricité, en pistes de désenclavement, en micro crédits ces populations qui se sont sacrifiées en donnant leurs terres pour la survie de l’humanité. « Dans les villages où nous avons conduit ces projets, le processus avance très bien, les gens ont oublié rapidement le passé et ils ont mieux compris la nouvelle donne de la gestion des AP. Ils espèrent toujours que le meilleur est à venir. Je les rassure que les financements de demain seront destinés aux communautés qui protègent beaucoup plus l’environnement », a-t-il rassuré.
L’intérêt économique et écologique des AP
Les aires protégées ont des avantages directs et indirects. Mais la plupart des gens méconnaissent les avantages indirects. D’abord, les AP, constituées d’un habitat serein et propre de faune et de flore, attirent la pluie. Ce qui maintient une bonne hydrologie et favorise de bonnes récoltes. Les AP fournissent du bois mort pour la cuisine aux communautés environnantes qui ont aussi l’avantage d’y chercher les produits forestiers non ligneux, notamment le miel, le karité, le néré et bien d’autres qu’on trouve dans la forêt.
« Le gouvernement n’interdit pas le prélèvement. Les populations ont le droit d’usage. Elles peuvent aller pêcher dans un cours d’eau à l’intérieur d’une AP. Seulement, c’est réglementé de façon que cela soit durable. Sinon, une seule personne peut aller piller tout et la communauté va souffrir. Quand vous prenez le complexe OKM, tous les cours d’eau qui restent permanents pendant la saison sèche se retrouvent dans l’AP. Le jour où on rase tout, cela veut dire que personne ne pourra vivre, parce qu’on ne peut pas faire des forages à Mango », a éclairci le coordonnateur du PRAPT.
S’agissant de l’importance économique, le Cdt Afoda a souligné que quand on a des AP, on est chéri par la communauté internationale, parce qu’elles contribuent à la survie de l’humanité. Ce qui donne droit à des financements. On peut citer, en exemple, le bassin du Congo et le parc Pendjari au Bénin où, grâce au tourisme et aux investissements internationaux, les riverains bénéficient de beaucoup d’atouts, dont la création d’emplois.
« Quand un touriste vient pour voir un animal, depuis l’aéroport jusqu’au parc, en passant par l’hôtel, c’est beaucoup de frais qu’il fait pour l’économie nationale. Maintenant, autour des AP, les 1/3 des ristournes sur les recettes du parc reviennent, dans le cadre de la décentralisation et la gestion des AP, aux communautés riveraines. C’est pourquoi nous les avons formés en associations villageoises de gestion des AP, pour mieux défendre leurs intérêts et mieux gérer les fonds qui leur reviennent », a indiqué le Cdt Afoda.
Faustin LAGBAI
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