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A l’insécurité foncière, quelle approche de solution?

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A l’insécurité foncière, quelle approche de solution?

En moyenne quatre-vingt pour cent (80%) des litiges, pendant devant les cours et tribunaux au Togo, sont fonciers, selon le rapport de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). Ces conflits naissent des ventes illicites, de la spéculation foncière, de la contestation des réserves, de l’appropriation par les tierces personnes, de la dépossession, de la pluralité de titres de propriété pour une même parcelle, etc, avec pour conséquences l’effritement de la cohésion sociale conduisant parfois aux affrontements violents. Les litiges fonciers sont plus concentrés dans les grandes villes, particulièrement à Lomé, la capitale que dans les zones rurales où l’on rencontre généralement plus de conflits d’héritage de terre, de limitation de parcelle, de droit de propriété entre autochtones et allogènes, de non reconnaissance du droit d’accès des femmes à la terre. Dans les villes, les conflits liés à la double ou multiples ventes ont pris une ampleur sans cesse grandissante et opposent régulièrement soit des acquéreurs et des propriétaires, soit deux ou plusieurs acquéreurs et enfin des descendants et les acquéreurs. Dans tous ces cas, l’acte de vente notarié se révèle comme une possible solution à l’insécurité foncière au Togo.

Le Togo fait, depuis quelques années, de grands bonds vers l’émergence, grâce aux efforts du gouvernement, avec la mise en place de nouvelles infrastructures routières, portuaires et aéro-portuaires sans oublier le redressement de l’économie nationale avec un taux de croissance de plus de cinq pour cent (5%), ces dernières années, la stabilité et la sécurité.
Tous les secteurs de l’économie sont en mutation positive. Avec tous ces atouts, le pays agrandit son attraction en tant que pôle d’affaires devenant ainsi une grande plateforme dans la sous-région. Ajouté à la diplomatie économique très dynamique, ces dernières années, beaucoup d’entreprises étrangères de taille s’apprêtent à s’installer sur nos terres pour participer et tirer profit de cet essor économique. Leurs installations se feront sur la base de transactions immobilières. Et plus celles-ci sont sécurisées plus les entreprises sont rassurées. Cependant, l’insécurité foncière au Togo reste encore une difficulté à surmonter. En effet, et malheureusement, en moyenne quatre-vingt pour cent (80%) des litiges, pendant devant les cours et tribunaux, sont fonciers.

Les facteurs favorisants

A l’analyse des litiges fonciers, on peut repérer plusieurs facteurs ou limites qui les favorisent et qu’on peut regrouper essentiellement en trois : les limites techniques, les limites humaines et les limites normatives
Au nombre des limites techniques qui sont essentiellement dues à l’absence de moyens financiers de l’Etat, puisque les urgences sont nombreuses, on peut citer sans être exhaustif : l’absence d’un plan cadastral global de tout le pays ayant pour conséquence la coexistence des zones rurales et des zones urbanisées et l’absence de densification ou le maillage de tout le pays de point de repères géodésiques de rattachement des plans parcellaires de terrain conduisant à une confusion et au chevauchement dans la confection des plans parcellaires.
En effet, les services techniques de l’Etat en la matière sont en train de s’organiser progressivement pour résoudre ces problèmes techniques. La mise en place récente du système d’orientation de tous les levés parcellaires dans la projection Universal Transversal Mercator (UTM) permettant dorénavant le rattachement des coordonnées des plans de terrains directement aux satellites à partir d’un point au sol, et qui a fait l’objet d’une tournée de sensibilisation par les services techniques du cadastre et des domaines auprès de tous les acteurs du foncier des cinq régions du Togo du 18 au 29 décembre 2015 en est une preuve.
Au rang des limites humaines, il faut citer le manque de formation de certains acteurs du foncier. En effet, certains individus se transforment en géomètres et continuent de créer le désordre dans nos villages et hameaux en faisant des lotissements clandestins au mépris des règles en la matière, qui prévoit la largeur des rues, les réserves destinées aux infrastructures communautaires (marchés, écoles, hôpitaux, rue etc.…)
Dans le principe, toute ville s’étend avec la mise en place de toutes les infrastructures ci-dessus pour une vie décente. Ces individus devancent les services techniques de l’Etat et mettent l’Etat devant un fait accompli avec des conséquences sociales énormes. Ce problème aussi connaîtra une solution à terme avec l’utilisation du nouveau système de projection UTM puisque n’utilise pas ce système qui veut. Les géomètres de métier se doivent alors d’être très vigilants pour extirper de leur rang les «faux» géomètres au risque d’engager leur propre responsabilité devant l’histoire.
Il faut y ajouter la cupidité de certains citoyens qui sont devenus des chasseurs de trésor en matière foncière et qui sèment la désolation en créant des problèmes avec les complicités de certains acteurs.
La loi foncière de 1906 avec ses textes organiques et complémentaires, a certaines dispositions encore d’actualité. Cependant, il faut faire évoluer ce texte pour l’adapter non seulement aux réalités foncières actuelles, mais également aux normes mondiales.
Selon Me Dominique Gnazo, notaire à Lomé, il faut mettre les techniciens et les professionnels du droit foncier au service de la sécurité foncière. « Beaucoup de litiges et la plupart d’ailleurs, qu’ils soient des remises en cause des droits de propriété entre collectivités ou même des «doubles ventes», poussent sur le terreau du manque de contrôle strict de l’acte juridique de transmission ou de cession. A titre d’exemple, les propriétés indivises appartenant à des collectivités sont vendues par des indivisaires sans mandat, ou des parcelles vendues sont revendues par des héritiers véreux etc… Ces genres de problèmes récurrents seraient drastiquement réduits si on érigeait l’acte authentique de vente établi par le notaire en règle », a-t-il dit.
En effet, aujourd’hui, dans beaucoup de pays de tradition civiliste, en matière foncière, l’acte authentique rédigé par le notaire est la règle et ceci pour les raisons principales suivantes : La nature spécifique du notaire : « officier public et ministériel, nommé par l’Etat, pour conférer authenticité aux actes qu’il reçoit, il est détenteur du sceau de l’Etat et agit au nom de ce dernier et sous son contrôle ».
A ce titre, son statut de «libéral régulé», le différencie avec les autres professions libérales et influe de manière déterminante sur sa mission qui est d’assurer la sécurité juridique et l’efficacité économique des contrats qu’il reçoit.

L’acte de vente notarial, une possible solution

A en croire Me Gnazo, le notaire assure l’authenticité et la sécurité juridique dans un contrat de vente de terrain par la prévention des conflits, par le contrôle de légalité, par son impartialité et par la conservation des actes.
Durant la période qui s’écoule entre l’accord des parties sur « le prix et la chose », en vue d’une vente parfaite, le notaire a l’obligation de faire un certain nombre de contrôles, afin d’éviter des contentieux futurs. Le notaire s’assure de l’identité et de la qualité des parties, de l’origine de propriété du bien objet de vente etc. En rapport avec les services techniques de l’urbanisme et du cadastre, il s’assure que l’immeuble mis en vente n’est pas une réserve administrative et n’est pas non plus situé dans une zone non édificandi.
Le notaire vérifie la conformité du contrat qu’il élabore, avec les textes en vigueur dans le pays et qui sont faits pour protéger les intérêts des citoyens.
« Aujourd’hui, beaucoup de pays, à travers le monde, sont en train de se réorganiser pour éviter l’accaparement des terres au détriment des paysans nationaux et pour assurer la sécurité mondiale à travers la traque du blanchiment d’argent et le financement du terrorisme qui utilise plusieurs canaux y compris les investissements dans le foncier. Le notaire, en rendant le contrat conforme auxdits textes, devient un acteur important qui contribue au respect de ces règles importantes et à la lutte contre ces fléaux », a fait savoir Me Gnazo.
Le rôle d’officier public confère au notaire l’obligation d’observer une stricte neutralité dans ses relations professionnelles avec les clients. Il ne doit en aucun cas prendre partie pour l’un plutôt que l’autre. Il doit être impartial et rester « notaire du contrat et non notaire de l’une ou l’autre des parties. Il éclaire les partis sur leurs engagements et s’assure qu’elles correspondent bien aux objectifs qu’elles souhaitent atteindre.
Le contrat authentique élaboré par le notaire a force probante, et force exécutoire et fait foi de son origine, de son contenu, et de sa date. C’est dire que le contrat notarié, notamment en matière immobilière assure avec certitude de ne pas être contesté par les contractants de mauvaise foi. Ces actes faits par le notaire sont conservés pendant cent (100) ans.
Au-delà de ces aspects remarquables, il y a la responsabilité du notaire. En effet, un notaire qui élabore un contrat de vente au mépris des règles de contrôle et de vérification qui lui incombent ainsi que des textes en vigueur, et que les conflits apparaissent, engage gravement sa responsabilité. Aucun autre contrat de vente sous seings privés n’assure une sécurité pareille à une transaction. Et aucun autre acteur du foncier n’est astreint à cette responsabilité.

Contribution souhaitée des autres acteurs et du citoyen

Pour Me Gnazo, le foisonnement d’actes de ventes sous seings privés, en matière immobilière aux contenus incertains et flous dont l’identité et la qualité des parties ainsi que l’origine de propriété ne sont pas contrôlées par un authentificateur sérieux et responsable, ajoute à l’insécurité foncière dans notre belle cité. « Cette réflexion, loin de prétendre que l’acte authentique notarié résout à lui tout seul, tous les problèmes du foncier au Togo, est juste une piste de réflexion, afin qu’à terme, des solutions idoines et complémentaires des unes et des autres et exemptes de tout intérêt partisan, soient trouvées à ce problème crucial qui touche toutes les couches de notre société et même l’Etat, en essayant d’intégrer dans notre arsenal juridique organisant la matière des pratiques qui ont fait leurs preuves ailleurs et qui ont mis définitivement certains pays comme la France qui utilisent cette pratique à l’abri de l’insécurité foncière », révèle-t-il.
« Le notaire est traditionnellement un collecteur d’impôts au profit de l’Etat. Le mettre au centre de toutes les transactions foncières au moment où l’Etat fait de gros investissements très couteux en faveur de l’amélioration des infrastructures routières et de développement qui contribuent à l’augmentation des revenus fonciers au profit des citoyens qui érigent les immeubles à exploitation locative au bord des belles rues, serait l’idéal, afin qu’à terme, un cadastre fiscal cohérent et ordonné s’organise pour permettre un retour d’investissement par la contribution honnête de chaque citoyen à cet effort de développement.
L’émergence vers laquelle on avance avec grande fierté a un coût. Et tous les acteurs que nous sommes devront nous rassembler, se serrer les coudes pour apporter nos diverses contributions à son avènement.
Les acteurs du foncier ne doivent pas être du reste. Les Notaires Officiers Publics et Ministériels détenteurs du sceau de l’Etat, implantés dans presque toutes les grandes villes du Togo, en ce qui les concerne, entendent prendre largement part à cet effort, à travers des techniques qu’ils maîtrisent déjà de par leur formation. Ils feront leur part ! Ils en ont pris déjà l’engagement, à travers leur serment. Il suffit de leur donner les instruments », a conclu Me Gnazo.

Faustin LAGBAI

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