Depuis plusieurs années, le gouvernement togolais s’est lancé dans un vaste chantier de développement communautaire. Ceci, à travers divers projets et programmes innovants dont le seul objectif est la réduction de la pauvreté. Parmi ces programmes novateurs, on compte le Programme National de développement de la Plateforme Multifonctionnelle (PN-PTFM). C’est un Programme conçu par le PNUD et implémenté dans 16 pays de l’Afrique de l’Ouest et Centrale dont le gouvernement togolais s’est approprié. Il est dirigé à l’endroit des femmes des milieux ruraux, afin qu’elles puissent s’en servir pour leur propre épanouissement et le mieux-être de leurs familles et communautés. Plus encore le PN-PTFM contribue, selon la coordinatrice de cette institution, Mme Prénam Awili, à la création de l’emploi, à l’amélioration du statut socio-économique et politique de la femme au Togo. Dans les lignes qui suivent, elle nous en dit plus sur ce puissant outil de promotion de l’entrepreneuriat féminin en milieu rural, mis en place depuis 2011 et qui, à ce jour, a généré près d’un demi-milliard de F CFA de ressources pour les bénéficiaires.
Togo-Presse : Qu’est-ce qu’une Plateforme Multifonctionnelle ?
Mme AWILI Prénam : La plateforme multifonctionnelle est définie comme une force motrice, constituée d’un moteur auquel sont raccordés divers équipements destinés à assurer une multitude de services tels que :
– la transformation mécanique des produits agro-alimentaires: mouture de céréales, de soja et de légumineuses, broyage de Karité et arachide, décorticage du riz ou du maïs, concassage de noix palmistes et de karité, râpure de manioc, pressage d’huile, etc.
– la production d’électricité pour alimenter les postes de soudure, d’aiguisage, de chargeur de batteries, de machines de menuiserie, etc. L’énergie produite par la Plateforme multifonctionnelle peut également faire fonctionner un mini-réseau électrique ou d’adduction d’eau potable simplifiée.
– La PTFM est donc considérée comme une infrastructure d’énergie décentralisée au sein du village. Elle utilise des sources d’énergie variables (diesel, solaire, biocarburant, biogaz) qui peuvent faire fonctionner les différents outils soit l’un après l’autre, soit au moins deux équipements à la fois. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Plateforme est qualifiée de multifonctionnelle. Sa multifonctionnalité permet de stimuler la création, le développement et/ou la modernisation d’autres activités artisanales dans les villages.
Togo-Presse : Comment se fait la coordination ?
Mme AWILI Prénam : Au niveau de chaque région il y a des cellules de relais qui sont en contact avec la coordination centrale à Lomé. Ainsi, au niveau des régions, des ONG sont identifiées par ces cellules pour assurer l’encadrement de proximité des bénéficiaires et exécuter les projets.
Togo-Presse : En quoi la PTFM est-elle un puissant outil de réduction de la pauvreté?
Mme AWILI Prénam : Le concept de la Plateforme Multifonctionnelle (PTFM) repose sur la corrélation entre certaines dimensions de la pauvreté qui touchent particulièrement les femmes et les filles, d’une part, et, d’autre part, les activités domestiques auxquelles elles sont astreintes et qui se caractérisent par une dépense énorme de temps et d’énergie humaine. La PTFM a donc été conçue pour se substituer à la force motrice humaine, afin de libérer les femmes et les jeunes filles des corvées longues et pénibles qu’elles étaient obligées d’exécuter manuellement et qui ne sont pas rémunérées.
Par ailleurs, comme on le remarque, la pauvreté au Togo reste un phénomène principalement rural, quoi qu’on dise. En plus de cela, les populations rurales sont affectées par le phénomène de la pauvreté énergétique qui constitue un obstacle à l’implantation des outils modernes de transformation des produits agricoles. Cette dimension de la pauvreté constitue un réel frein au développement local, par la sous valorisation des productions locales. Ainsi, l’ampleur de la pauvreté en milieu rural se voit accentuée par le manque de services énergétiques.
Le Programme National de développement de la Plateforme Multifonctionnelle (PN-PTFM) a été proposé par l’Etat togolais pour pallier cet état de chose. Originellement, la plateforme multifonctionnelle a été conçue pour alléger le travail pénible des femmes. Avec le temps, la plateforme est passée de l’allègement à la fourniture des services énergétiques qui est en même temps source de création d’emplois, grâce au développement des activités génératrices de revenus et des micro-entreprises rurales.
Togo-Presse : Quels sont les critères de sélection des villages bénéficiaires ?
Mme AWILI Prénam : Le premier critère de sélection des villages bénéficiaires est la vulnérabilité de la communauté qui fait appel au niveau d’enclavement par rapport au réseau électrique conventionnel et au programme d’électrification rurale. Le programme cible les localités enclavées et défavorisées en termes d’accès aux services sociaux de base. Il y a aussi la densité démographique de la localité, dont la taille de la population est comprise entre 500 et 2000 habitants, les potentialités économiques de la zone où on note une forte disponibilité des produits agricoles, des besoins accrus en transformation et une forte demande des services énergétiques. Le village est sélectionné également par rapport à son engagement à contribuer à l’acquisition de la plateforme (notamment par la construction de l’abri). Ce qui constitue un facteur de réussite. Le dernier critère impose que le groupement demandeur soit légalement constitué et structuré avec des statuts, règlement intérieur et procès-verbal de l’assemblée générale constitutive du groupement.
Togo-Presse : Quel bilan faites-vous du PN-PTFM depuis son lancement en 2011 ?
Mme AWILI Prénam : Au lancement du programme en mai 2011, il avait été annoncé 1000 PTFM à l’horizon 2018. Sur les 1000, la BOAD s’est engagée à en financer 200 qui sont exécutées par le Programme d’Appui au Développement à la Base (PRADEB). Le PNUD s’est particulièrement investi dans la phase pilote du programme et accompagne l’Etat chaque année. En dehors du PNUD et de la BOAD, il y a l’Ambassade de Suisse qui a financé deux entreprises PTFM.
Ainsi, à ce jour, le Togo compte 259 PTFM installées sur toute l’étendue du territoire et une centaine en cours. Parmi elles, on dénombre deux PTFM solaires, dont une raccordée à une mini adduction d’eau potable installée à Cacavéli (blue zone), avec la collaboration du Groupe Bolloré et une autre installée à Donomadé (préfecture de Yoto), dans le cadre de la synergie d’action avec le projet pilote d’éco-villages. L’une des PTFM standards à Oligo (préfecture de l’Est-Mono) est connectée à un micro-réseau électrique. Le coût de l’ensemble des réalisations est estimé à 3. 122. 500.000 F CFA. Le cumul des recettes enregistrées au niveau des PTFM installées se chiffre actuellement à 467 085 400 F CFA.
Sans financement propre, le Programme saisit toutes les opportunités pour la mutualisation des ressources et la synergie des actions. C’est dans cette optique que pour le compte de l’année 2017 et dans le cadre de la mise en oeuvre du Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC), 40 PTFM solaires sont en cours de réalisation. La lettre d’accord de ce financement a été signée, à cet effet, entre le PNUD et le ministère en charge du Développement à la Base, le 11 août 2017, pour un montant de 974. 124 125 F CFA. En dehors de la transformation des produits agro-alimentaires, ce dispositif permettra d’assurer la fourniture d’électricité aux infrastructures communautaires, notamment les écoles et les centres de santé de la zone.
Togo-Presse : Le Programme a prévu d’installer 1000 PTFM à l’horizon 2018. Or, nous sommes à un an de l’échéance et il n’a été installé que 259 et 40 en cours d’installation. Concrètement, qu’est-ce qui explique ce score en dessous de la moyenne ?
Mme AWILI Prénam : Plus haut, je vous parlais aussi d’une centaine de PTFM qui était en cours d’installation. D’ici la fin de l’année, elles seront réceptionnées au fur et à mesure que les équipements sont installés. Parlant du bilan, il faut souligner que le programme n’a pas de financement propre. Il est vrai que le montant du budget prévu pour les 1000 PTFM prévues dans le document du programme s’élève à 10 356 170 630FCFA. Mais, ce n’est pas un programme «clef en main».
Il dépend du transfert que l’Etat met à sa disposition chaque année. Or, l’Etat ayant plusieurs priorités à la fois, les fonds du transfert sont de loin très insuffisants pour couvrir les besoins du programme tel que prévu. Il est vrai que sur les 1000 PTFM prévues, il n’y a que 259 installées. Mais celles-ci sont très actives en si peu de temps, comparées à certains pays de la sous-région où le programme a débuté il y a 25 ans ou plus. Donc, je me sens fière de l’existant. Car, il vaut mieux avoir peu qui fonctionnent très bien que beaucoup qui tombent dans l’abandon.
Togo-Presse : Combien coûte l’installation d’une PTFM ?
Mme AWILI Prénam : Pour installer une PTFM standard (diesel), il faut 8 500 000 F CFA dont 6 500 000 F CFA pour les équipements et le reste pour les études, renforcements de capacités des bénéficiaires et le suivi de la PTFM. Une PTFM solaire coûte 30 000 000 F CFA à raison de 20 000 000FCFA pour les équipements et 10 000 000 F CFA pour le reste.
Togo-Presse : Quel sont les effets induits par la PTFM sur les bénéficiaires ?
Mme AWILI Prénam : La disponibilité des services énergétiques sur place, grâce à la PTFM permet :
– la réduction des travaux manuels et épuisants pour les femmes et les jeunes filles ;
– le gain de temps : les femmes peuvent ainsi mener des AGR ; ceci contribue à l’augmentation de leurs revenus qui passent de 500 FCFA à 300 000 FCFA.
– l’accès des femmes aux micro- crédits : grâce aux bénéfices générés par la PTFM, les membres s’octroient des microcrédits qui varient entre 5000 FCFA et 30 000 FCFA pour financer leurs AGR.
– la création d’emplois autour des PTFM : en somme, au moins 2700 emplois directs et indirects ont été créés ;
– l’amélioration du statut de la femme au sein du ménage et de la communauté : grâce aux activités du programme et au fil du temps, les femmes constatent que leur statut au sein du ménage s’améliore. Leur contribution financière aux charges du ménage s’accroît. Les femmes ont plus de voix, en particulier, sur la façon dont le revenu du ménage sera dépensé ;
– l’amélioration de la participation des femmes à la prise de décision: la plupart d’entre elles acquièrent une meilleure estime. Certaines femmes deviennent des leaders de leurs groupes (présidente, secrétaire, trésorière, etc.);
– la ponctualité des repas au foyer : ceci crée un climat de paix au sein des foyers.
Togo-Presse : Un groupement qui désire installer une PTFM, comment doit-il procéder ?
Mme AWILI Prénam : Un groupement, qui veut bénéficier d’une PTFM, doit envoyer au nom de son village, une demande d’installation de PTFM au ministère du Développement à la Base.
La demande doit être co-signée par le chef du village et le président du CVD. A cette demande sont joints les statuts, règlement intérieur et le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive du groupement.
Togo-Presse : Quels sont les défis ?
Mme AWILI Prénam : La mobilisation des ressources financières est le principal défi qui reste un casse-tête chinois aussi bien pour le ministère de tutelle que pour l’équipe de coordination. Or, le passage à l’échelle du programme, ainsi que l’impératif de promotion et de vulgarisation des sources d’énergies renouvelables sur les entreprises PTFM, nécessitent un financement conséquent.
La transition vers les Energies Renouvelables : la principale source d’énergie utilisée jusqu’ici sur les entreprises PTFM est le gasoil, or l’accroissement exponentiel de nos besoins en énergie, l’amoindrissement continuel des réserves d’énergie fossile, ainsi que l’impact de leur utilisation sur l’environnement, nous imposent d’opter pour la promotion et le développement des énergies plus propres et durables.
L’alphabétisation des exploitantes des PTFM : les outils de gestion mis à la disposition des comités de gestion ne sont pas correctement remplis, vu l’analphabétisme poussé des membres. Le programme d’alphabétisation en vue permettra de renforcer les capacités des groupements porteurs des PTFM pour la prise en mains de leurs rôles et responsabilités au sein des Comités de Gestion. L’alphabétisation est un outil indispensable pour assurer la participation efficace des femmes, l’appropriation et la pérennisation des acquis du programme.
La promotion de l’entrepreneuriat féminin rural : il s’agit d’inscrire la plateforme PTFM dans la dynamique du développement économique local. Il faut renforcer les capacités entrepreneuriales des gestionnaires dans la transformation des produits locaux, la fabrique de glace, la recherche de débouchées et des partenaires commerciaux, etc. Il est question donc de doter les exploitants des outils nécessaires pour une gestion efficace et efficiente des AGR autour des PTFM qui évoluent progressivement vers les unités de transformation, de véritables micro-entreprises rurales.
Togo-Presse : Par rapport au PN-PTFM, avez- vous un message à l’endroit des femmes togolaises ?
Mme AWILI Prénam : Je voudrais dire à mes chères sœurs, surtout celles vivant en zone rurale que nous admirons leur bravoure et le dynamisme avec lequel elles se battent au quotidien pour échapper à la situation de précarité dans laquelle la pauvreté les expose avec leurs ménages. Recevez mes encouragements et toute mon admiration pour le travail remarquable que vous faites au sein de vos groupements respectifs.
La plateforme multifonctionnelle est, non seulement, un outil de lutte contre la pauvreté, mais aussi, un mécanisme pour promouvoir l’autonomisation des femmes en milieu rural. J’invite donc toutes les femmes à quelque niveau de responsabilité qu’elles soient, à saisir cette immense opportunité qu’offre la PTFM pour l’émergence de l’entrepreneuriat féminin en milieu rural.
Propos recueillis par
Blandine TAGBA-ABAKI
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