Le Togo ainsi que d’autres pays de la sous-région ouest africaine sont confrontés, depuis quelques semaines, à une recrudescence des cas de dengue, une maladie infectieuse causée par une espèce de moustique. Dans un entretien exclusif, Pr Koumavi Didier Ekouévi, médecin en Santé publique, chef du département de Santé publique à la Faculté des Sciences de la Santé de l’Université de Lomé, donne des précisions sur les voies de transmission, les manifestations et la prise en charge de cette affection. Il y explique que la dengue n’est pas une nouvelle maladie et que la recrudescence des cas, s’explique par plusieurs facteurs, dont l’urbanisation non planifiée et le non-respect des mesures de prévention. Selon lui, il n’existe pas de traitement antiviral spécifique pour le mal et la prise en charge repose sur le traitement symptomatique.
Togo-Presse : Le monde fait face à l’apparition de nouvelles maladies. Est-ce le cas de la dengue ?
Pr Koumavi Didier Ekouévi : La dengue n’est pas une nouvelle maladie, mais ces dernières décennies, le nombre de cas a considérablement augmenté. Cette augmentation peut être attribuée à plusieurs facteurs : la croissance démographique, les changements climatiques favorisant la prolifération des moustiques vecteurs, les déplacements internationaux, et l’urbanisation non planifiée. L’urbanisation, particulièrement, lorsqu’elle n’est pas planifiée, joue un rôle crucial dans la transmission de la dengue en influençant divers facteurs sociaux et environnementaux. En effet, les zones urbaines à forte densité de population offrent un environnement propice à la transmission rapide du virus de la dengue.
La migration et les déplacements fréquents des populations urbaines facilitent la propagation du virus dans de nouvelles régions.
Dans les zones urbaines, un accès irrégulier à des sources d’eau potable pousse les habitants à stocker de l’eau, créant des sites potentiels de reproduction pour les moustiques. Le stockage non sécurisé de l’eau dans des récipients ouverts peut devenir des foyers de reproduction pour les moustiques vecteurs de la dengue.
De même, les plantes et les jardins, souvent mal entretenus, peuvent accumuler de l’eau stagnante, favorisant la prolifération des moustiques.
Tous ces facteurs ont contribué à l’expansion géographique de la dengue et à l’augmentation du nombre de cas.
T.- P. : Parlez-nous, professeur, de cette affection et son mode de transmission.
Pr K. D. E. : La dengue est une infection virale causée par un le virus de la dengue. Il ne s’agit pas d’une nouvelle maladie, car elle existe depuis des années. On assiste, cependant ces dernières années, à une augmentation du nombre de personnes infectées par ce virus. Il existe quatre types de virus de la dengue (DENV-1, DENV-2, DENV-3, DENV-4). Il est transmis à l’homme lors d’une piqûre par les moustiques femelles du genre Aedes, principalement Aedes aegypti, mais aussi parfois par le moustique tigre (Aedes albopictus). Le virus peut être également transmis, mais de façon rare, d’une femme enceinte à son bébé ou par la transfusion sanguine.
T.-P. : Quelles sont les prévalences dans le monde et au Togo ?
Pr K. D. E. : La dengue est présente de façon permanente dans plus de 100 pays, principalement dans les régions tropicales et subtropicales. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ la moitié de la population mondiale est, aujourd’hui, exposée au risque de dengue. Chaque année, on compte environ 100 à 400 millions d’infections par le virus de la dengue. La dengue sévit dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier, principalement dans les zones urbaines et semi-urbaines. C’est surtout l’Asie du Sud-Est et l’Afrique qui en portent le plus lourd fardeau. Il y a un manque de données sur la dengue, peu d’études sont menées sur le continent africain sur cette thématique. Au cours des dernières décennies, l’incidence de la dengue a progressé de manière spectaculaire dans le monde entier : le nombre de cas notifiés à l’OMS est passé de 505 430 en 2000 à 5,2 millions en 2019. Depuis le début de l’année 2023, en raison de la transmission active et d’un pic inattendu des cas de dengue, un record historique a été atteint et plus de 6,5 millions de cas de dengue et plus de 7300 décès des suites de la maladie ont été notifiés. Des cas d’épidémies de dengue sont souvent rapportés en Côte d’Ivoire et au Burkina-Faso. En janvier 2024, le ministère de la Santé du Burkina Faso avait signalé 46 878 cas suspects enregistrés au plan national, 67 658 cas probables et 688 décès causés par la dengue.
Au Togo, les premières descriptions de cas de dengue ont été faites entre les années 1987 et 2000 chez des voyageurs expatriés après leur séjour au Togo. Nos équipes ont mené quelques études sur la dengue. Je vous présente les résultats de deux d’entre elles. Nous avons estimé la prévalence de la dengue, en 2017, chez les patients présentant une fièvre au Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio (CHU S.O.) de Lomé. Cent quarante-sept (147) patients avaient été inclus dans cette étude, 17% avaient des anticorps, un signe qu’ils ont été en contact avec un virus. Puis en 2021, une étude a été réalisée auprès de 659 personnes ayant une forte suspicion de paludisme dans la Région de la Kara. Cette étude a rapporté une prévalence de 16% de la dengue témoignant ainsi de la circulation du virus aussi bien à Lomé qu’à Kara. Il faut retenir que les études récentes montrent que la prévalence de la dengue est en augmentation et, cela, en raison de facteurs comme l’urbanisation rapide, les migrations et les changements climatiques pour ne citer que celles-là.
T.- P. : Que savoir sur le diagnostic et les signes qui peuvent alerter ?
Pr K. D. E. : La plupart des malades ont des symptômes légers ou n’ont aucun symptôme et se rétablissent en 1 à 2 semaines. Dans de rares cas, la dengue peut être grave et entraîner la mort. Le diagnostic de la dengue repose principalement sur les symptômes et signes cliniques. Les symptômes typiques incluent : Une forte fièvre, des maux de tête sévères, des douleurs derrière les yeux, des douleurs articulaires et musculaires, des nausées et vomissements, des éruptions cutanées et une légère hémorragie (gencives saignantes, ecchymoses faciles).
Les personnes infectées, pour la deuxième fois, courent un risque accru de dengue sévère. Les symptômes de la dengue sévère surviennent souvent après la disparition de la fièvre : Douleurs abdominales sévères, vomissements persistants, respiration rapide, saignement des gencives ou du nez, fatigue, agitation, sang dans les vomissures ou les selles, forte sensation de soif, peau pâle et froide, sensation de faiblesse.
La forme hémorragique représente environ 1% des cas de dengue dans le monde. Outre des douleurs abdominales sévères, des vomissements persistants, les symptômes associés sont des hémorragies.
Le moustique-tigre, un autre agent vecteur de la dengue
Il existe des tests rapides qui peuvent confirmer l’infection, notamment les tests sérologiques et la détection du virus par biologie moléculaire. Il faut dire que ces tests n’étaient pas toujours disponibles dans les pays en développement au niveau des centres de soins périphériques. Dans une étude que nous avions réalisée, en 2022, auprès de 464 professionnels de santé de la région sanitaire de Kara, seuls 10% affirmaient avoir des tests de diagnostics rapides de dengue dans leur formation sanitaire. Des efforts sont à faire pour rendre disponibles les tests de diagnostic rapide de dengue, car une détection précoce et une prise en charge rapide sont les facteurs clés pour éviter les épidémies de dengue.
Par ailleurs, il existe une forte similitude entre les symptômes du paludisme et la dengue, entrainant une surestimation de la prévalence du paludisme et un sous diagnostic de la dengue. Plus simplement, on traite beaucoup de paludisme à tort, car on n’a pas cherché à savoir si c’est la dengue ou pas.
T.- P. : Quelle prise en charge pour les malades ?
Pr K. D. E. : Il n’existe pas de traitement antiviral spécifique pour la dengue. La prise en charge repose sur le traitement symptomatique : le repos, l’hydratation orale ou intraveineuse et les médicaments pour réduire la fièvre et la douleur. Les formes sévères nécessitent une hospitalisation, avec une surveillance rigoureuse des signes vitaux et un soutien médical intensif. Il est crucial d’éviter les médicaments comme l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens qui peuvent aggraver les saignements.
T.- P. : Quelques conseils pour se protéger contre le mal.
Pr K. D. E. : La prévention de la dengue repose principalement sur la lutte antivectorielle, c’est-à-dire la lutte contre les moustiques propageant le virus, ainsi que sur des mesures de protection individuelle.
Voici les principales actions à entreprendre :
Lutte antivectorielle : Eliminer les points d’eau stagnante : Supprimer les réservoirs d’eau où les moustiques peuvent se reproduire.
Utiliser des répulsifs : Appliquer des produits répulsifs pour éloigner les moustiques.
Porter des vêtements couvrants : Se vêtir de vêtements longs et couvrants pour minimiser les piqûres.
Installer des moustiquaires : Utiliser des moustiquaires pour se protéger pendant le sommeil.
Utilisation d’insecticides : Bien que les insecticides puissent être employés, leur usage massif peut conduire à une résistance des moustiques, réduisant ainsi leur efficacité.
Vaccins contre la Dengue : Il existe deux vaccins contre la dengue :
Dengvaxia® (CYD-TDV) : Ce vaccin préventif est administré en trois doses espacées de six mois. Il est réservé aux personnes âgées de 9 à 45 ans, précédemment infectées par le virus et vivant en zone endémique.
TAK-003 (QDenga) : Préqualifié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le 10 mai 2024, ce deuxième vaccin offre une nouvelle option pour la prévention de la dengue.
Connaissance des symptômes : Il est crucial que tout le monde soit informé des manifestations de la dengue.
Consultation médicale rapide : Consulter rapidement un médecin dès l’apparition des premiers signes de la maladie pour une prise en charge adéquate.
En adoptant ces mesures de prévention et en restant vigilant face aux premiers symptômes de la dengue, il est possible de réduire considérablement le risque de contracter cette maladie.
Propos recueillis par Françoise AOUI
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