Le chef de l’Etat, Faure Essozimna Gnassingbé, a ouvert, le mercredi 23 mars 2022, le premier sommet sur la Cybersécurité en Afrique. Les travaux, qui envisagent de « faire de la cybersécurité une priorité absolue pour nos Etats », se déroulent au Centre international des conférences de Lomé où le chef de l’Etat a eu, pour l’occasion, le prix de champion d’Afrique de la cybersécurité. Un prix décerné par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), pour son engagement sur la question. La cérémonie d’ouverture a pris fin par la déclaration de Lomé qui constitue un engagement de tous pour « un espace cyber sain et prospère ». Ce sommet est organisé par le gouvernement togolais, en partenariat avec la CEA, qui a honoré l’ouverture des travaux par la présence de sa secrétaire exécutive, Mme Vera Songwe. On y notait aussi la présence du Premier ministre, Mme Victoire Tomégah-Dogbé, de la présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yawa Djigbodi Tsègan, de plusieurs ministres venus de divers pays, des membres du corps diplomatique et de bien d’autres invités de haut rang.
Environ 700 participants, dirigeants du secteur privé, ainsi que des leaders de la société civile venus d’une trentaine de pays prennent part, depuis hier à Lomé, au sommet sur la cybersécurité en Afrique. Ils sont chargés d’explorer des approches innovantes permettant de répondre aux enjeux de la cybersécurité dans les politiques publiques, et dans tous les secteurs de la vie socioéconomique. En effet, étant donné que les menaces sur le cyber espace n’ont aucune barrière géographique, il s’avère indispensable de développer une synergie d’actions prenant en compte une forte coopération internationale autour des activités de lutte contre ce fléau. Le Sommet de la Cybersécurité de Lomé trouve ainsi toute sa quintessence dans cette démarche visant à engager un dialogue de haut niveau, en vue de formuler des pistes de coopération et de coordination, pour répondre aux enjeux pressants auxquels tous les acteurs africains sont confrontés en matière de cybersécurité. Le but étant de créer une économie sécurisée, en abordant de manière collaborative la lutte contre les menaces sur le cyber espace.
Le contenu des travaux
Pour y parvenir, plusieurs sujets d’actualité sont pris en compte par des panels de discussion à l’agenda des travaux. Les participants composés de spécialistes en cybersécurité et en développement numérique vont échanger sur la conception d’approches innovantes, pour répondre aux enjeux de cybersécurité en Afrique, sur les enjeux de cybersécurité dans les politiques publiques, ainsi que sur le financement et l’opérationnalisation des stratégies de cybersécurité sur le continent.
Les discussions vont aussi porter sur les enjeux de la cybersécurité à l’heure de l’identification biométrique en Afrique, la mise en œuvre d’un partenariat public-privé et de synergies entre les Centres nationaux de réponse aux incidents de cybersécurité au Togo (CERT) et les Security Operations Centers (SOC) et l’identification. Il s’agit aussi de réfléchir à la mise en œuvre des facteurs clés de succès pour renforcer la collaboration régionale en matière de cybersécurité. Parmi les panels, il y a ceux ministériels visant à voir « comment placer les enjeux de la cybersécurité au cœur des politiques publiques en Afrique » et à « structurer le financement et à assurer l’opérationnalisation des stratégies de cybersécurité sur le continent ». Les travaux ont prévu des keynotes, avec l’idée d’aller « vers la conception d’approches innovantes pour répondre aux enjeux de cybersécurité en Afrique », tout en tentant de faire le tour sur « les tendances sectorielles 2022 vers un espace numérique qui protège les données à caractère personnel ». Les experts vont s’atteler, dans leurs panels, à identifier et à mettre en œuvre les facteurs clés de succès pour renforcer la collaboration régionale en matière de cybersécurité, mais aussi à voir comment le secteur privé africain peut faire face aux risques croissants en la matière. Au cours des travaux, les participants vont, par ailleurs, suivre une démonstration simulant la cyberattaque d’une organisation, afin de mieux apprécier les enjeux de la cybersécurité et des bonnes pratiques numériques.
L’Afrique doit développer et proposer des réponses adaptées aux enjeux de l’heure
Il faut reconnaître que le présent sommet intervient à un moment où l’Afrique connaît une transformation numérique spectaculaire, facilitée par l’adoption rapide des technologies et par l’accroissement des services digitalisés offerts, aussi bien par les entreprises que par les États. Les multiples réformes profondes menées par les gouvernements pendant la décennie passée concrétisent, de plus en plus sur le continent, les notions d’identité numérique, de numérisation de l’administration (e-gouvernement), d’utilisation de la biométrie ou d’inclusion financière, à travers des solutions digitales comme les services d’argent mobile.
A la lumière de ce contexte, le chef de l’Etat, Faure Essozimna Gnassingbé, en ouvrant les travaux, a souligné à juste titre que « le monde est entré dans ce qu’il est convenu de reconnaître comme la quatrième révolution industrielle et dont l’ère est celle de mutations rapides et de grande portée. Les métamorphoses profondes qu’elle induit dans nos modes de vie n’ont pas fini de dévoiler leur contenu. Les nouveaux produits et services qu’elle permet renforcent chaque jour une interconnexion sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Mais, dans le sillage de la transition numérique et de ses nombreux avantages naissent également des bouleversements importants qui imposent des réponses globales en matière de gouvernance et de gestion des solutions et outils technologiques ». Pour le chef de l’Etat, face à ce contexte très inédit et extrêmement mouvant, l’Afrique doit développer et proposer des réponses adaptées aux enjeux de l’heure.
Dans la lignée, il a rappelé son ambition de faire du Togo, un hub digital attractif pour les investisseurs, tout en garantissant sa souveraineté numérique, la sécurité et la protection des données. Aussi, l’exploitation optimale du numérique est-elle placée, à dessein, au cœur de l’action gouvernementale, en raison des nombreux avantages que le Togo compte en tirer, pour générer de la richesse et améliorer la qualité de vie de ses populations.
Les coûts liés à la cybercriminalité
Dans son intervention, la secrétaire exécutive de la CEA, Mme Vera Songwe, est revenue sur les coûts liés au phénomène, soulignant que la cybersécurité et surtout la cybercriminalité sont, de plus en plus, préoccupantes en Afrique. En cela, elle a cité plusieurs sources qui ont étudié ce fléau. McAfee estime qu’en 2020, les coûts de la cybercriminalité ont augmenté de plus de 5 0 % au cours des deux dernières années, dépassant désormais 1 000 milliards de dollars dans le monde, soit plus de 1 % du PIB mondial. Selon le rapport Kaspersky, la cybercriminalité a réduit le PIB de l’Afrique de plus de 10 %, pour un coût estimé à 4,12 milliards USD en 2021. Pour Interpol, en juin 2020, l’Afrique du Sud comptait le troisième plus grand nombre de victimes de cybercriminalité dans le monde, pour un coût d’environ 147 millions de dollars par an. Mme Vera Songwe a indiqué que les cybermenaces ont augmenté au cours du premier semestre 2021. Par exemple, le Kenya a enregistré 32,8 millions d’attaques, l’Afrique du Sud 31,5 millions et le Nigeria 16,7 millions. « Des quantités massives de données personnelles sont actuellement interceptées en grande partie en dehors de l’Afrique, ce qui place le contrôle de ces données entre les mains de vendeurs et de plateformes situés hors d’Afrique. Les cybercriminels constituent également une menace pour la sécurité nationale », a-t-elle fait noter.
Défis de la cybergouvernance et de la cybersécurité en Afrique
De l’avis de Mme Songwe, ces évolutions indiquent à quel point la cybercriminalité peut fragiliser l’économie numérique africaine, ainsi que d’autres aspects, notamment sociaux, politiques, la stabilité et la sécurité nationale.
Elle a fait remarquer que l’Afrique manque de capacités, dans divers domaines, pour relever les défis auxquels elle est confrontée. Plus de 90 % des entreprises africaines opèrent sans utiliser les protocoles de cybersécurité nécessaires. De plus, le continent souffre de pénurie de professionnels de la sécurité certifiés, « car le nombre estimé de professionnels de la sécurité certifiés en 2018 était de 7 000, soit 1 pour 177 000 personnes ». D’autre part, l’Afrique fait face à l’insuffisance du cadre juridique/réglementaire sur la cybersécurité et la protection des données. Entendu qu’en Afrique, sur les 54 pays, 28 disposent d’une législation sur la protection des données (52%), et 6 sont en train de rédiger une législation (11%). À l’heure des cyber incertitudes, chaque nation africaine doit également créer son propre programme national de cybersécurité, a-t-elle expliqué, en insistant sur la coopération numérique qui reste fondamentale à l’heure actuelle pour avancer plus rapidement et de manière plus décisive. Sur d’autres aspects, la secrétaire exécutive de la CEA a exprimé sa reconnaissance au Togo pour son leadership dans le cadre de ce sommet. Pour elle, chaque nation africaine a besoin d’un cadre juridique précis en matière de cybersécurité et de protection des données. « Je tiens à saluer les efforts considérables déployés par le gouvernement togolais et son engagement à réformer les cadres juridique et institutionnel, afin de renforcer la sécurité et la confiance dans le secteur numérique », a-t-elle fait valoir, rappelant que le Togo a mis en place une Agence nationale de cybersécurité pour assurer la sécurité et la défense des systèmes numériques et juguler les menaces et les risques inhérents à l’expansion de l’industrie numérique.
L’appel de Lomé
Dans une déclaration dite de Lomé, lue par la ministre Cina Lawson de l’Economie numérique et de la Transformation digitale, les ministres réunis dans le cadre du Sommet de la Cybersécurité à Lomé, ont pris des engagements forts visant la cybersécurité en Afrique. Dans ce sens, ils appellent à « signer et à ratifier la Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel dite ″Convention de Malabo″ », à « mettre en place et à veiller à la mise en œuvre effective d’un cadre légal et réglementaire spécifique à la cybersécurité et à la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que les organes de régulation qui permettent notamment de susciter la confiance des investisseurs, de favoriser l’adoption des activités et services numériques par les utilisateurs et, plus généralement, d’accélérer la transformation numérique ». Leur appel vise aussi à « développer des stratégies et politiques de cybersécurité qui soient stables, prospectives et adaptées aux contextes et aux évolutions du secteur de l’économie numérique », et à « établir un cadre permettant de lutter efficacement contre la cybercriminalité et de promouvoir une culture de cybersécurité ». Enfin, il faut « renforcer la coopération africaine en matière de cybersécurité et de lutte contre la cybercriminalité ».
Bernardin ADJOSSE
Zeus POUH-PEKA
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