Le sang est un organe liquide vital qui circule dans l’organisme humain, grâce aux vaisseaux sanguins. Il est composé de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes qui baignent dans un liquide appelé plasma. Le sang joue un rôle essentiel dans le transport de l’oxygène, des nutriments, des anticorps et des hormones. Ayant ce rôle primordial et des caractéristiques spécifiques, il ne peut pas être remplacé aussi facilement par d’autres organes ou composants d’une autre nature. Face à une situation d’urgence sanitaire qui nécessite une transfusion sanguine, il est important de connaître le groupe sanguin du patient, afin de déterminer de quel groupe d’individus il peut recevoir du sang. Cependant, les poches de sang ne sont pas disponibles à tout moment. En dehors de la l’indisponibilité du sang commune à tous les groupes sanguins, celle du de groupe O négatif (O-) est encore plus problématique. Dans une interview exclusive, le directeur du Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS), Prof, Lochina Fètèkè lève le voile sur la rareté du sang O négatif qui constitue un déséquilibre énorme, en termes de poches de sang. La prescription rationnelle des poches de sang permettra donc de faire l’économie, pour éviter que les malades O négatifs manquent de sang.
Togo-Presse : Qu’est-ce que le sang O négatif ?
Prof. Lochina Fètèke : D’abord, il faut définir les groupes sanguins avant de voir à l’intérieur de ces groupes le sang O négatif. Alors, le groupe sanguin constitue les catégories au sein desquelles il faut classer des individus en prenant comme critère les caractéristiques qu’ils ont dans leur sang. En plus clair, ces caractéristiques sont de deux types : des structures qu’on a à la surface des globules rouges et des substances solubles que l’on a dans le plasma. En ce qui concerne les structures elles-mêmes, on en distingue deux. Il y a la structure A qui donne le Groupe A et la structure B qui donne la Groupe B. Cependant, il y a des individus qui possèdent les deux structures A et B sur les globules rouges. Donc, ils sont du groupe AB. Enfin, il existe des individus qui ne possèdent aucune des deux structures sur leurs globules rouges. Eux, ils sont du groupe O. Par contre, il y a une seconde structure qui s’appelle le Rhésus (Rh) qui existe sur la membrane du globule rouge. A ce niveau, il y a deux situations qui se présentent : soit vous en disposez de cette structure et vous êtes Rhésus positif (Rh+), soit vous n’en avez pas et vous êtes Rhésus négatif (Rh-). En définitive, lorsqu’on combine les structures A, B et le Rhésus, on obtient 8 sous-groupes : nous avons pour les groupes positifs A+, B+, AB+ et O+. Pour les groupes négatifs, nous avons A-, B-, AB- et le O-. C’est justement sur ce dernier groupe O- que le problème se pose. Vous savez, en termes de statistique, lorsqu’on prend globalement la population africaine et, particulièrement togolaise, les individus du groupe O représentent 50 % de la population. La frange de la population ayant pour groupe AB qui est d’ailleurs plus rare, n’est que de 5 %. Les 45 % restant se répartissent entre A et B. Dans ce cas, les proportions sont respectivement de 22 et 23 %. Mais lorsqu’on tient compte du Rhésus, ceux qui sont du signe positif (Rh+) constituent 92 % de la population tandis que les individus de Rhésus négatif sont de 8 %. En conclusion, lorsqu’on rapporte l’élément Rhésus aux différents groupes, on constate que le O négatif (O-) représente 8 % du groupe O. Finalement, il n’y a que 4 % de la population qui sont du groupe O-. Cela constitue un déséquilibre énorme en termes de poches de sang, parce qu’un individu ne peut donner qu’une poche de sang. Alors que le patient à l’hôpital a besoin souvent de 2, 3, 4 ou plus. Ce qui fait que c’est seulement les 4 % du groupe O- qui vont donner du sang pour toute la population. Encore, faut-il qu’ils soient tous donneurs de sang. Donc, c’est ça qui cause la problématique de la rareté des poches de sang pour ce groupe.
T.-P : Pourquoi, le O négatif est-il le groupe sanguin le plus rare ?
Prof. L. F. : C’est une question de génétique de la population. Si les O représentent 50 % et que le négatif représente 8 % seulement de cette frange de la population, on se rend compte que finalement le O- est à 4 %. Cependant, il n’est pas aussi rare qu’on le pense, il est plus important que les autres Rhésus négatifs. Par exemple, le A négatif (A-) ne représente que 2 %. Egalement pour le B négatif (B-). Donc, le O négatif, il est rare, mais parmi les rares, il est le plus fréquent.
T.-P : Si le A négatif est encore plus rare que le O négatif, pour soigner des patients des deux groupes différents, la problématique est la même ?
Prof. L. F. : Vous savez, tous les groupes négatifs sont rares chez nous. Donc quand un malade est du Rhésus négatif, il est souvent très difficile de trouver le sang. Mais heureusement pour le A, B et AB négatifs (A-, B-, AB-) le problème ne se pose pas, il y a une alternative. On peut utiliser le sang de O négatif pour les transfuser. Cela augmente la chance supplémentaire pour ces patients d’avoir une poche de sang. Puisqu’en dehors de leur groupe respectif, ils peuvent recevoir le sang venant du groupe O-. Alors que pour un patient du groupe O négatif, il n’y a que le sang de son propre groupe qui peut le sauver. Cela veut dire que pour le groupe A- qui constitue 2 % de la population s’ajoutent les 4 % du groupe O négatif. Ce qui représente 6 % de possibilités de trouver le sang pour un patient du groupe A négatif, alors que le O- la possible reste à 4 %
T.-P : Cela sous-entend qu’on ne peut rien faire pour un patient de O négatif dont la poche correspondante est introuvable ?
Prof. L. F. : Lorsque l’indication de la transfusion est posée de façon formelle, la seule solution c’est de trouver la poche de sang. Malheureusement donc, il n’y a pas d’alternative. Par conséquent, il est primordial de faire économie des poches de sang. Parce que dans l’utilisation de ces poches, il est possible qu’il y ait des gaspillages. On peut prescrire 3 ou 4 poches de sang à un patient en espérant qu’après les deux premières, peut-être le patient peut en avoir encore besoin. Si au bout de la première ou seconde transfusion le malade est sorti de sa situation, le reste constitue un gaspillage. Cela réduit la disponibilité du sang au CNTS, puisque ces poches de sang sont déjà sorties. Alors éviter ce gaspillage, c’est de prescrire de façon rationnelle les produits sanguins. Ceci va permettre d’améliorer la disponibilité du sang. Pour le O- en particulier, étant donné que c’est le groupe donneur universel, le seul à pouvoir se substituer aux autres, il est ainsi plus largement utilisé par les établissements de santé en cas d’urgence vitale immédiate, lorsque le groupe sanguin du patient qui va être transfusé n’est pas connu. Cette pratique est donc au détriment des sujets qui sont O négatif et lorsqu’ils viendront, il n’y a pas d’alternative pour eux. Donc je le répète encore, c’est la prescription rationnelle des poches de sang qui permettra de faire l’économie pour éviter que les malades O négatifs manquent de sang.
T.-P : Souvent, c’est lorsqu’on est transporté à l’hôpital qu’on découvre son groupe sanguin. Selon vous, qu’elle initiative faut-il pour remédier à cette situation ?
Prof. L. F. : C’est important de connaître son groupe sanguin très tôt au cours de la vie. Pas dès la naissance. Comme je le disais tantôt qu’il y a des caractéristiques sur le globule rouge et d’autres dans le plasma, celle-ci s’acquiert au fur et à mesure que l’enfant grandit. Donc, lorsqu’un enfant a 1 an révolu, on est sûr du résultat. Ce qui veut dire que si à la naissance, on ne peut pas déterminer le groupe sanguin, au cours de la vie, il faut le faire très tôt et non attendre nécessaire que l’on soit malade. Ce que je préconise, c’est qu’il faut le faire déjà à l’école, surtout dans les primaires. Là, on peut dire que les élèves qui iront au CEPD, la même année, doivent avoir leur groupe sanguin. Je pense que cela peut aider. En plus, il y a un autre élément aussi important. C’est la formule hémoglobinique, parce qu’on a des gens qui sont drépanocytaires. Je prends l’exemple de ceux qui ont l’hémoglobine S de type hétérozygote (c’est-à-dire quand c’est un seul exemplaire), ceux-là ne vont pas manifester la maladie, mais selon leur mariage futur, ils peuvent transmettre ça à leurs progénitures. Donc, c’est utile qu’en connaissant le groupe sanguin de savoir à même temps de quel type d’hémoglobine l’on a. Donc, on peut rendre ça systématique au cours primaire.
T.-P : Quel appel faites-vous à l’endroit des donneurs et de toute la population en général ?
Prof. L. F. : C’est toujours le même message. D’abord expliquer que le sang est un médicament. Mais c’est un médicament spécial. Parce qu’il ne se fabrique pas dans une industrie pour stocker dans de grands magasins comme les autres médicaments en pharmacie. Donc, ce médicament est contenu dans l’organisme vivant. Il faut le prélever, le préparer et le transfuser. Là également, en termes de particularité, c’est un médicament vivant et il a une durée de vie très courte. Vous savez, à partir du moment où le sang sort de l’organisme du donneur, c’est-à-dire qu’on le prélève et qu’on le mette dans une poche, il lui reste 28 jours pour être utilisé. Ceci est d’ailleurs bien indiqué sur la poche : prélevé le (date), à utiliser avant le (date). Il est très important de respecter cette indication, puisqu’on l’a dit, c’est un produit vivant qu’on extrait d’un organisme vivant, et il est conservé de façon artificielle. Vous savez que tout ce qui est artificiel ne peut pas être comme dans l’organisme. C’est pourquoi on ne peut pas conserver le sang indéfiniment. Donc après un mois et selon les produits que nous utilisons pour la conservation, on ne plus utiliser ce sang. Ce qui fait qu’on ne peut pas se lever, par exemple, le 1er janvier et faire une collecte de sang sur tout le territoire togolais et le stocker quelque part et dire voilà, nous avons du sang toute l’année. Non, ce n’est pas comme ça. Donc il faut faire des campagnes régulières pour collecter le sang. J’invite donc la population à participer aux différentes opérations de collecte. Ces campagnes s’organisent dans les écoles, dans les lieux de culte, dans les entreprises publiques comme privées, lorsque les équipes du CNTS se déplacent dans ces lieux. Cependant, il y a des postes fixes. Ici au CNTS, à Lomé, il y a un poste de collecte et de distribution au CHU-Sylvanus Olympio. Il y en a d’autres à l’intérieur du pays, notamment à Afagnan, Kpalimé, Atakpamé, Sokodé, Kara et Dapaong. J’appelle donc la population à se rendre à ces postes pour participer aux opérations de don de sang pour sauver des vies.
Propos recueillis par Yves T. AWI
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