Santé

Préoccupation du Pr Koffi Didier Ayéna sur l’impact croissant des écrans sur le cerveau des enfants

L'ophtalmologiste, Pr Koffi Didier Ayéna,
Préoccupation du Pr Koffi Didier Ayéna sur l’impact croissant des écrans sur le cerveau des enfants

Les enfants sont, de plus en plus, exposés aux écrans, souvent utilisés à des fins éducatives ou pour le divertissement. Cette omniprésence des écrans dans la vie des tout-petits soulève des questions, par rapport à leurs effets sur leur santé oculaire et mentale. Pr Koffi Didier Ayéna, ophtalmologiste et chef de ce service au CHU S.O. à Lomé, lève un coin de voile sur les effets de l’utilisation des appareils électroniques chez les enfants.

De l’avis du Pr Koffi Didier Ayéna, ophtalmologiste et chef de ce service au Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio (CHU S.O.) à Lomé, les appareils électroniques ne sont pas, en soi, une source de problème sur le plan visuel. C’est plutôt l’utilisation inappropriée de ces appareils qui peut entraver le développement naturel de l’œil, ainsi que les habilités de lecture et d’apprentissage. Le premier élément à considérer est la distance d’observation. L’œil est conçu pour regarder, en vision de près, à une distance qui est à peu près égale à celle de l’avant-bras (distance du coude au bout des doigts de la main). On parle d’environ 30 centimètres pour un enfant en bas âge et 40 centimètres pour un adulte. Or, les tablettes et les téléphones sont tenus en moyenne à 20-30 centimètres de l’œil, cette distance devenant de plus en plus courte avec une exposition prolongée. L’effort visuel demandé pour garder une image claire à cette distance est donc doublé. Une distance trop courte influence la qualité de l’image rétinienne, c’est-à-dire le développement visuel et cause une fatigue oculaire excessive.

Il faut comprendre également que lorsque l’œil accommode, les yeux se dirigent automatiquement vers le nez (convergence), afin de se focaliser à la distance de lecture normale, explique le praticien. Un effort accommodatif trop important s’accompagne donc d’une convergence plus grande que la normale. Comme l’œil ne peut maintenir cet effort prolongé sur une longue période, il va relâcher son effort et l’image perçue deviendra floue pendant un moment. Après une période de repos, l’œil reprendra son effort, et cette alternance entre la clarté et le flou s’opérera, tant que l’attention au près sera sollicitée. Ainsi, idéalement, la tablette ou le téléphone devrait toujours se tenir à distance d’avant-bras. Il faut aussi noter que l’utilisation d’outils électroniques avec des jeux ou des vidéos, demande un temps d’attention constant et sans pause.

« Lorsque l’enfant dessine dans un cahier ou lit un livre papier, il arrêtera instinctivement à un moment, regardera ailleurs, au loin, s’intéressera à autre chose autour de lui. Ces pauses et ces temps d’arrêt sont bénéfiques pour que le système visuel récupère de son effort. Se concentrer sur des cibles en vision de loin est également bénéfique pour le développement visuel de l’enfant », fait remarquer Pr Didier Ayéna. Selon ce spécialiste de la santé oculaire, avec les tablettes électroniques, il n’est pas rare de voir des enfants opérer des séances de plus de deux ou trois heures en continu, sans lever le nez de l’écran. Pour les enfants de 0 à 2 ans, le système visuel n’est pas suffisamment développé et robuste pour subir un tel stress par une stimulation constante devant l’écran. Le stimulus visuel à ces âges peut interférer et entrainer le développement de défauts visuels et de pathologie à un âge plus avancé. Il importe également de mentionner que l’écran peut émettre une lumière bleue. L’œil d’un enfant ne filtre pas ces rayons comme celui d’un adulte. L’exposition à la lumière bleue est donc plus grande chez l’enfant, ce qui pourrait stimuler la myopie et perturber la sécrétion de mélatonine, qui règle notre horloge biologique. Cela peut perturber les siestes nécessaires à cet âge, de même que le sommeil durant la nuit.

 De la fatigue visuelle à l’impact sur le cerveau

Selon le médecin, la fatigue visuelle numérique ou asthénopie est l’une des préoccupations principales liées à l’usage prolongé des écrans. Elle se manifeste par des symptômes tels que des yeux rouges, irrités, des maux de tête fréquents, une vision floue et une sécheresse oculaire. Cela résulte souvent de la diminution du clignement lors de la fixation prolongée sur des écrans, ce qui réduit l’hydratation naturelle de l’œil. L’exposition aux écrans, surtout avant le coucher, est particulièrement préoccupante, en raison de la lumière bleue qu’ils émettent. Cette lumière peut perturber les cycles de sommeil naturels des enfants, en inhibant la production de mélatonine, l’hormone qui régule le sommeil. Un sommeil insuffisant ou de mauvaise qualité peut avoir des conséquences graves sur la santé physique et mentale des enfants, affectant tout, de la performance scolaire à la régulation des émotions. Le médecin renseigne aussi que la myopie est en augmentation chez les sujets jeunes à travers le monde, une tendance que certains chercheurs associent à l’utilisation accrue des écrans. La myopie se développe, lorsque l’œil grandit légèrement trop long par rapport à la focale de l’œil, provoquant une focalisation des images en avant de la rétine, rendant les objets éloignés flous. L’impact des écrans sur le cerveau des enfants est un sujet de préoccupation croissante. 

Une exposition excessive aux écrans peut nuire au développement cognitif des enfants. En effet, les jeunes enfants ont besoin d’interactions sociales et d’expériences sensorielles, pour développer leurs compétences cognitives. Un excès d’écran pourrait entraver ce développement et provoquer un retard de langage. « L’excès d’écrans diminue les opportunités de communication verbale, ce qui peut retarder le développement du langage chez l’enfant », a-t-il indiqué. L’excès d’écran peut aussi conduire à des problèmes d’attention. Le contenu stimulant des écrans peut surcharger les sens des enfants et nuire à leur capacité de concentration sur des activités plus calmes. De l’avis de ce spécialiste, les écrans sont souvent considérés comme des outils éducatifs modernes, alors qu’en réalité, la rapidité des images et le rétroéclairage des écrans ont un effet hypnotique qui les empêche de se concentrer. Cet effet hypnotique empêche l’enfant de se détacher des images, créant une sorte de captivation passive plutôt que d’engagement actif. Il est donc essentiel que les enfants de moins de 9 ans soient accompagnés par un adulte, lorsqu’ils utilisent des écrans, pour les aider à interpréter, à comprendre ce qu’ils voient et à établir des temps limités. De plus, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour valider cette hypothèse, certaines études suggèrent que l’exposition excessive aux écrans pourrait développer de l’anxiété, de la dépression et/ou des troubles du comportement chez les jeunes enfants. En conclusion, les effets néfastes des écrans sur la santé visuelle des enfants sont bien documentés. De la fatigue oculaire aux troubles de la vision, en passant par les difficultés d’attention et les retards dans l’apprentissage, les conséquences sont significatives, prévient le médecin. Toutefois, l’exposition aux écrans est pratiquement inévitable dans le monde moderne, mais comprendre ses effets sur la santé visuelle des enfants est crucial pour minimiser les risques potentiels.

Apprivoisons l’électronique

Pour un développement visuel normal, il est donc recommandé d’éviter toute exposition aux appareils électroniques entre 0 et 2 ans, relève le praticien. À l’exception de rares conversations vidéo, sous la supervision d’un parent, afin de faire coucou à des grands parents à distance, pendant quelques minutes. À partir de 2 ans, une exposition d’une heure par jour peut être envisagée, notamment pour consulter des sites éducationnels, toujours accompagné par un parent ou un éducateur. Lorsque le système visuel est mature, vers l’âge de 6-8 ans, on peut augmenter l’exposition graduellement, sans dépasser deux à trois heures par jour, en respectant des pauses de dix minutes toutes les heures. Il faut éviter l’usage d’appareils électroniques durant les repas, les activités familiales et au moins une heure avant le sommeil. Le meilleur conseil qui peut être donné pour le développement visuel réussi de l’enfant est d’encourager une exposition à la lumière extérieure durant au moins une heure par jour, idéalement deux heures. On parle ici de jeu, de marche, et d’activités qui se font à l’extérieur. La quantité de lumière est alors beaucoup plus importante qu’à l’intérieur, ce qui stimulerait la production de dopamine, un médiateur chimique essentiel à réguler la croissance de l’œil. C’est la façon la plus efficace de prévenir l’apparition de la myopie chez les enfants. Il faut également s’assurer que le système visuel de l’enfant est normal et que son développement se fait naturellement. Ainsi, le premier examen chez l’ophtalmologiste ou optométriste devrait être fait à l’âge de 6 mois, pour s’assurer que l’œil a une optique normale et qu’il n’y a pas de défaut congénital, puis à 3 ans, pour évaluer la coordination des yeux. Si tout est normal, le prochain examen aura lieu à 5 ans, et annuellement par la suite, considérant que la vision peut changer rapidement, conseille l’ophtalmologiste. En cas d’anomalie, plus on intervient tôt dans le processus, plus il est facile de rétablir une fonction oculo-visuelle normale, soit par exercice, soit par des moyens optiques. En observant ces recommandations d’hygiène visuelle, on protège le système visuel de l’enfant et lui assure un développement normal. A ne pas oublier que le plus bel écran du monde, c’est celui de la nature. Offrons-le plus souvent à nos enfants !

Françoise AOUI

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