
Le pays kabyè, dans la préfecture de la Kozah, vivra, du 19 au 26 juillet, l’ambiance des festivités de la lutte traditionnelle Evala. Durant cette période, les jeunes lutteurs feront un retrait dans ce qui est appelé « Ahoyé », un lieu sanctuarisé de formation et d’apprentissage d’une nouvelle vie de responsabilité, de domination de soi, de respect de la hiérarchie d’âge. Ceci, à travers un certain nombre d’épreuves et de brimades s’apparentant à du bizutage. En prélude à cette fête initiatique, le chef du village de Pya Kodah, M. Moukpè Manimbou, explique ce que c’est que le sanctuaire « Ahoyé » et son importance dans l’acquisition des valeurs devant façonner la personnalité du « Evalou » (jeune lutteur), tout en évoquant les différentes étapes de l’initiation du jeune kabyè.

L’initiation à travers la lutte, c’est aussi un certain nombre de règles et valeurs à faire respecter.
Les luttes traditionnelles Evala en pays kabyè, au-delà de leurs aspects sportif et festif, constituent une école de vie qui forge la personnalité du jeune kabyé, appelé à défendre sa communauté, surtout à être un adulte responsable du foyer qu’il fondera au terme de son initiation. Tradition transmise de génération en génération, Evala englobent un ensemble d’apprentissages techniques de lutte, de rituels et de cérémonies, dont certains sont acquis sur le sanctuaire de retraite des lutteurs, appelé « Ahoyé », un lieu mythique éloigné des maisons, objet d’un entretien à bâton rompu, samedi, avec le chef du village de Pya Kodah, M. Moukpè Manimbou.

Démonstration de l’endurance des lutteurs.
Ce chef traditionnel rappelle que Evala sont la toute première initiation à la vie d’homme de l’adolescent Kabiyè. « Ahoyé » est un lieu sacré où se retirent les jeunes lutteurs durant toute la semaine de la lutte. Ce retrait est important, pour permettre au jeune initié de pouvoir observer un certain nombre de règles et d’interdits liés à son initiation. Car cette initiation, l’un des plus importants piliers de l’identité culturelle kabyè, revêt un aspect culturel, fait de sacrifices et d’obligations pour l’adolescent, tels que l’abstinence sexuelle, l’interdiction d’aller à la maison pour toucher les objets, au moment où l’on mange la viande du chien.

L’ambiance festive sera au rendez-vous.
M. Moukpè explique que, c’est dans le sanctuaire que les jeunes sont plus préparés psychologiquement et physiquement, pour faire face à l’épreuve de lutte. C’est sur ce lieu sacré, interdit d’accès aux femmes et aux étrangers, que se forge leur caractère, que se développent l’endurance, le courage et le stoïcisme en eux. De ce fait, le nouveau jeune initié qui est présenté par les aînés dans le sanctuaire, est toujours accueilli par ses supérieurs de la 2e et 3e années de lutte, à qui il doit tout le respect, même s’il est plus fort que ces derniers. Car le respect de la hiérarchie d’âge est une obligation, a fait savoir ce chef coutumier. Ainsi, habituellement, le nouvel initié est soumis à une sorte de corvée et d’exercices physiques tels qu’aller puiser l’eau dans une jarre de plus de 25 litres et la porter sur les épaules jusqu’au sanctuaire. C’est à lui aussi que revient la charge d’aller chercher le bois pour faire du feu.
Une épreuve qui forge leur caractère
« Quand les nouveaux initiés arrivent au sanctuaire, on leur apprend à sacrifier le chien. Car tuer un chien revêt des techniques qu’ils doivent maîtriser pour leurs cadets. Par la suite, en dépiécant le chien tué, les supérieurs saisissent l’occasion pour apprendre aux nouveaux Evala (lutteurs) les noms “codés” des différentes pièces de l’animal sacrifié », explique M. Moukpè. Selon lui, c’est au sanctuaire que les jeunes Evala apprennent également à se connaitre et à se respecter. C’est une autre école où le jeune apprend à se dominer et à avoir la maîtrise de soi. Ceci, en supportant des moqueries et railleries de toutes sortes, les brimades, sans toutefois faiblir face à l’adversité. M. Moukpè reconnait toutefois qu’Ahoyé n’est pas le seul cadre où commence l’apprentissage du jeune kabyè. Déjà, dès l’enfance, les petits apprennent à s’affronter jusqu’à l’adolescence, entre 15 et 17 ans, avant d’être initiés. L’’objectif de cet apprentissage est de les préparer, psychologiquement et physiquement, pour cette épreuve qui forge leur caractère et personnalité.
Concernant les autres étapes de l’initiation, le chef du village de Pya Kodah a laissé comprendre que le rituel commence par des scarifications en dessous des oreilles pour indiquer que le jeune est initié. Après la présentation du jeune Evalou dans le « Ahoyé », ce dernier doit lutter pour prouver sa bravoure, son courage et sa force. Il fera ainsi sa propre fierté, de même que celle de ses parents et de sa communauté. M. Moukpè explique qu’après trois ans d’initiation, le jeune Evalou rentre dans la classe des « Ezakpa », avant de devenir « Kondo » et, par la suite, passer à la classe de « Eglou ». Age repère à partir duquel, il commence par compter ses tranches d’âge de cinq ans « Waa ». Il renseigne que, cette année 2025 est une année quinquennale appelé « Waa Pinaw ». Saisissant l’occasion, M. Moukpè appelle les lutteurs à l’esprit du fair-play, lors des compétitions qui commencent, le 19 du mois courant.
Pour tout, l’on retient qu’Ahoyé est plus qu’un sanctuaire. C’est un lieu de retraite pour les initiés, afin d’apprendre à se connaitre, à combattre et mieux contribuer à la socialisation de la communauté. Mais, l’initiation du jeune Kabyè va au-delà de ce sanctuaire, associant d’autres étapes dans le processus de formation des jeunes. L’objectif étant de parvenir à former des gens suffisamment responsables et bien préparés, pour être des sages de demain.
Bernardin ADJOSSE
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