Les 18es assises statutaires de l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones (AA-HJF), avec le financement de l’OIF, se sont ouvertes, hier à Lomé, par un colloque international sur le thème : « L’Etat de droit et la problématique des révisions constitutionnelles en Afrique ». Cette rencontre de trois jours, permettra aux membres de cette association de réfléchir sur la manière de contribuer au renforcement du droit et de la sécurité juridique et judiciaire, en vue de la promotion et de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit. Les travaux ont été ouverts par la cheffe du gouvernement, Victoire Tomégah-Dogbé, en présence des membres du gouvernement et du corps diplomatique, des représentants des institutions de la République et de diverses autres personnalités.
La Constitution, c’est l’âme de la République, le statut organique, l’acte fondateur qui organise et structure l’Etat. Les constitutions apparaissent donc comme des moyens techniques et juridiques que se donnent les peuples, pour organiser leur vivre ensemble national, leur communauté de destin. Dans ce sens, les Constitutions ne peuvent être un fourre-tout. Elles ont beau avoir mille pages, elles ne peuvent tout régler. Œuvre humaine, comme l’affirmait le Pr Martin Bléou, « Les constitutions portent nécessairement la marque de l’imperfection, de la finitude. En outre, du fait de leur origine et de leur objet, les constitutions sont soumises à l’usure du temps. Elles ne peuvent, dès lors, avoir vocation à l’éternité, à l’immuabilité absolue. Elles doivent, dès lors, pouvoir être modifiées ou révisées, afin de s’adapter aux exigences nées des évolutions ou des mutations des sociétés ». Ainsi justifiées, aussi bien du point de vue de la logique que du point de vue factuel, les révisions constitutionnelles sont nécessaires aux Etats. Il faut toutefois noter, pour le regretter, que certaines révisions constitutionnelles sur le continent africain sont devenues polémiques, voire chrysogènes, parce que jurant avec les fondamentaux de l’Etat de droit. D’où, la question : quelle révision de constitution pour les Etats africains engagés sur la voie de la démocratie et de l’Etat de droit ? Cette réflexion est au centre du colloque international qui a ouvert, hier à Lomé, les travaux des 18es assises statutaires de l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones (AA-HJF). Le thème de cette rencontre, « L’Etat de droit et la problématique des révisions constitutionnelles en Afrique » est une invite aux magistrats des hautes juridictions, aux professeurs d’universités, aux praticiens du droit, à réfléchir sur la problématique des révisions constitutionnelles dans l’espace AA-HJF. Il est question de jeter un regard scientifique et critique sur les révisions constitutionnelles dans les Etats, singulièrement dans leurs rapports à l’Etat de droit. Durant trois jours, les participants vont échanger autour des thématiques telles que : « Les fondamentaux de l’Etat de droit et les révisions constitutionnelles en Afrique », « La cartographie des révisions constitutionnelles en Afrique », « Révisions constitutionnelles et juridictions internationales », « Réflexion sur une standardisation des processus de révisions constitutionnelles », etc.
Travailler à faire preuve d’adaptation, quand cela est nécessaire
En ouvrant les travaux de cette rencontre, le Premier ministre, Victoire Tomégah-Dogbé, a remercié l’AA-HJF pour avoir porté son choix sur le Togo pour abriter ces assises et ainsi soutenir les efforts permanents du pays à assoir la paix et la démocratie. La thématique de ce colloque, a-t-elle dit, reflète la nécessité de poursuivre l’ancrage des valeurs de l’Etat appréhendées aux prismes de la démocratie constitutionnelle. Ce thème est d’autant plus pertinent que cette rencontre intervient dans un contexte où la sous-région est au prise avec des manifestations d’instabilité politique liées parfois aux crises sécuritaires. « Ces situations viennent avec cruauté nous rappeler l’importance pour un pays de bénéficier d’un climat de paix, de stabilité politique et institutionnelle. Nous devons ainsi travailler au quotidien à comment consolider les acquis, mais aussi à faire preuve d’adaptation, quand cela est nécessaire, car aucun système n’est immuable », a-t-elle souligné. Pour la cheffe du gouvernement, l’expérience togolaise, à cet égard, peut être pertinente à partager, car après plusieurs années de pratiques constitutionnelles, de tensions socio politiques, la Constitution togolaise a été révisée, en mai 2019. « Une évolution qui a permis de renforcer la stabilité et l’ancrage d’un fonctionnement démocratique dans notre pays. Cette réforme a ainsi permis d’approfondir notre volonté commune de renforcer les libertés individuelles, en faisant évoluer les missions du Médiateur de la République et celles des autres institutions destinées à encadrer la vie institutionnelle, comme le Conseil supérieur de la magistrature, la Cour Suprême, la Cour Constitutionnelle. Plusieurs autres réformes relatives à l’amélioration du cadre électoral, aux manifestations pacifiques publiques, à la décentralisation et liberté locale, aux mesures d’apaisement ont découlé des travaux et propositions consensuelles de la Concertation nationale entre acteurs politiques et elles peuvent être considérées comme un prolongement de la réforme constitutionnelle menée auparavant », a-t-elle dit. Raison pour laquelle, elle a rendu un vibrant hommage au chef de l’Etat, dont le leadership a permis toutes ces avancées. Ce colloque, pour le Premier ministre, doit être une opportunité pour ouvrir le débat sur l’apport du cadre constitutionnel aux ambitions de développement des pays. A son avis, ces pays sont quasiment tous dans une dynamique économique nécessitant quelques facteurs clés qui facilitent la mise en œuvre des actions : la stabilité politique, la préservation de la paix sociale, l’Etat de droit, l’équité de traitement, etc. Mme Tomégah-Dogbé a relevé l’importance d’ajuster les systèmes institutionnels et constitutionnels aux réalités des pays, car « il n’y a pas de modèle prêt à porter en démocratie. Elle a donc invité les participants à sortir des éléments techniques ou objectifs sur lesquels les responsables politiques peuvent s’appuyer, pour identifier des systèmes adaptés aux ambitions communes.
Une rencontre dans un espace francophone éprouvé par des crises politiques
Pour la représentante résidente de l’OIF, Afrique de l’Ouest, Mme Thi Hoang Mai Tran, cette rencontre arrive dans un espace francophone éprouvé par des crises politiques, institutionnelles, sécuritaires et, plus récemment, sanitaires. Les rapports biennaux de l’OIF sur l’état des pratiques de la démocratie rappellent, a-t-elle dit, le rôle central des hautes juridictions dans des contextes politiques parfois difficiles. « Les deux prochaines journées contribueront, à n’en pas douter, à enrichir les pratiques et expériences de vos institutions, afin de renforcer, durablement, la place du contrôle juridictionnel dans les révisions constitutionnelles, de consolider les institutions de l’Etat de droit et de poser de nouveaux jalons dans la coopération toujours plus approfondie des institutions », a-t-elle dit. Pour Mme Tran, les hautes juridictions, véritables piliers de la démocratie, sont au cœur de la francophonie institutionnelle.
Le président de la Cour Suprême du Bénin, président du bureau du Conseil d’Administration de l’AA-HJF, M. Victor Dassi Adossou, a confié que la tenue des présentes assises est la manifestation de la vitalité de de ce réseau. Ses principaux objectifs étant de promouvoir le rôle des juridictions membres dans l’uniformisation du droit au sein des Etats et de contribuer, plus efficacement, au renforcement du droit et de la sécurité juridique et judiciaire en Afrique. Ceci, en vue de la promotion et de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit. « Les objectifs que les hautes juridictions ont assigné à leur association reposent sur les enjeux et les nouveaux défis d’une Afrique du 3e millénaire où l’exigence de démocratie et d’Etat de droit se place au-dessus de toute transaction. Toute politique de développement socio-économique ne serait que leurre, si elle n’était portée par un environnement de démocratie et d’Etat de droit lui-même soutenu par une justice forte et indépendante. L’objectif, pour nous, en dernière analyse, c’est de dégager les tendances lourdes, de tirer des enseignements des meilleures pratiques des uns et des autres, pour aller vers une standardisation des processus de révisions constitutionnelles en Afrique », a-t-il soutenu.
Le président de la Cour Suprême du Togo, M. Abdoulaye Bawa Yaya, a confié que les mutations constitutionnelles doivent s’inscrire dans l’unité et la diversité des aspirations partagées, dans le respect des principes universels de la démocratie et des modalités de partage du pouvoir que sont : l’énoncé des droits fondamentaux et des devoirs qui en découlent, la consécration de la justice, la protection des couches sociales vulnérables, en bref, le traitement de tous les aspects de la vie des Etats. « Dès lors, les révisions constitutionnelles doivent se reposer et prendre en compte les fondamentaux de l’Etat de droit. Ce n’est que sous ce rapport, qu’elles peuvent les renforcer et les consolider », a-t-il dit.
Mélissa BATABA
RSS