” j’ai juste voulu vous rappeler que vous avez un grand pouvoir que vous devez reconnaître et valoriser : sans votre travail de producteurs agricoles l’humanité ne peut pas continuer à fonctionner et exister. Mais vous devez aussi prendre conscience que ce travail doit nécessairement s’orienter aujourd’hui vers une production saine et respectueuse de la Nature qui pourra alors nous supporter durablement”, tel est le message clé de la lettre ouverte de l’agronome Widi Tchala; Ph.D aux Agriculteurs.
Chers Agriculteurs,
Savez-vous qu’en tant que producteurs agricoles vous avez un grand pouvoir et que par conséquent vous êtes des personnes très très importantes ?
Savez-vous que sans vous aucun autre être humain n’a le pouvoir d’être ce qu’il est et de faire ce qu’il est capable de faire ?
Savez-vous que vous êtes ceux qui nourrissent le monde et ceux qui donnent à tout le monde la force dont il a besoin pour vivre et pour travailler ?
C’est cela votre grand pouvoir ! Sans la nourriture que vous produisez avec détermination, courage et persévérance, le monde ne serait pas ce qu’il est.
Imaginez juste un peu ce que serait le monde si la production agricole s’arrêtait brusquement ! Cela vous donne une idée de l’immensité de votre pouvoir et de votre valeur dans ce monde.
‘’Le cheval du chef court le ventre plein’’, dit un proverbe kabyè signifiant que c’est parce que le cheval du chef est bien nourri qu’il arrive à mieux courir que les autres chevaux moins bien nourris.
C’est vous les producteurs agricoles qui donnez la force à tous les humains, y compris vous-mêmes !
Il est bon de répéter que sans la nourriture que vous produisez, aucun être humain aujourd’hui ne peut vivre longtemps et continuer à faire ce qu’il est capable de faire.
Dans ce monde qui évolue et dans ce pays qui veut accélérer son développement, vous êtes des acteurs de premier plan.
En effet, le vrai développement commence à la base, par l’agriculture !
Le Chef de l’Etat, son excellence Faure Essozimna GNASSINGBE a reconnu votre grand pouvoir et a instruit le gouvernement pour vous annoncer la bonne nouvelle et vous aider dans votre noble mission en vous donnant les moyens de faire en sorte que ce pouvoir qui est le vôtre puisse être développé au profit de toute l’humanité.
Pendant longtemps, chers agriculteurs, votre pouvoir a été ignoré, y compris par vous-mêmes, car on nous a tous appris à donner le pouvoir seulement à ceux qui s’asseyent dans des bureaux, des fois sans faire grand-chose ni pour eux-mêmes, ni pour le pays.
Maintenant que par la vision du Chef de l’Etat les autorités reconnaissent que notre vrai pouvoir à tous de vivre et d’entreprendre passe par vos efforts quotidiens, chers agriculteurs, vous devez vous-mêmes en prendre conscience et vous prendre plus au sérieux désormais et développer vos propres capacités pour mieux accomplir ce devoir très important qui est le vôtre.
Mais ce devoir consiste en quoi exactement ?
Produire de la nourriture de bonne qualité et en abondance pour l’humanité qui a besoin d’être en bonne santé et avoir suffisamment d’énergie pour travailler et continuer à vivre.
Les pratiques agricoles récentes héritées de la colonisation ont beaucoup insisté sur la quantité de la production agricole en négligeant dangereusement la qualité, facteur pourtant très important.
Ces pratiques importées qui prônent seulement l’augmentation des rendements sont basées surtout sur l’utilisation des engrais et des pesticides provenant des industries occidentales qui cherchent avant toute chose à se faire de l’argent.
On connaît aujourd’hui les nombreux méfaits de cette agriculture industrialisée :
• La réduction de la matière organique du sol
• La réduction des capacités du sol à retenir l’eau et donc soutenir la vie dans ce sol
• La compaction du sol
• L’augmentation de la salinité et de l’acidité du sol, nuisible aux microorganismes utiles
• La détérioration de la qualité des produits agricoles
• La toxicité des produits agricoles due surtout à la présence des résidus de pesticides industriels non biodégradables
• Les mauvais effets sur l’eau, la flore, la faune et la santé humaine
• Les résistances des ravageurs, des agents pathogènes et des mauvaises herbes, etc.
On nous fait croire qu’on n’a pas le choix, que seule cette agriculture peut permettre de nourrir l’humanité à croissance galopante. Mais ce n’est qu’une croyance qui cache l’idée qu’on peut faire de l’argent non seulement en vendant les engrais et les pesticides, mais aussi en vendant des médicaments inefficaces aux gens qui tombent malades en consommant des produits agricoles rendus toxiques par les engrais et les pesticides. Ainsi, en prônant l’agriculture intensive nocive, les industries gagnent doublement.
C’est vrai que l’humanité croit à grande vitesse et il faut plus de nourriture pour soutenir cette croissance. Mais parallèlement à cette croissance il y a de plus en plus de gens qui vivent surtout dans des villes et la plupart font des travaux improductifs tandis que d’autres ne font rien de concret pour gagner leurs vies. Il peut y avoir suffisamment de nourriture sans que certains puissent y accéder, entre autres choses parce qu’ils n’ont pas d’argent pour l’acheter. Si tu ne sais rien faire d’utile à la société, si tu n’as fait aucun effort pour te rendre utile à la société qui va te payer en retour, comment veux-tu qu’elle puisse te nourrir ? Personne n’est là sur cette terre pour produire et donner gratuitement aux autres. Nous sommes là pour nous rendre mutuellement service dans une dynamique gagnant-gagnant.
Pour nourrir efficacement l’humanité croissante il faut apprendre aux gens à devenir responsables de leurs vies et à devenir productifs dans les domaines de leurs choix, afin qu’en toute chose ils puissent faire des échanges utiles avec les autres. Nous n’avons pas seulement un problème de productions agricoles, nous avons aussi et surtout un problème général de productivité personnelle. Nous avons non seulement besoin de manger mais aussi d’être logés, de nous habiller, de nous déplacer, de nous marier, etc. Que faisons-nous personnellement pour pouvoir faire face à tout cela ?
Mais l’ingrédient de base c’est la nourriture et celle qui est disponible aujourd’hui en grande quantité pose un problème sérieux de qualité. La question suivante est cruciale.
Est-ce qu’il est possible de se nourrir pour avoir la force sans tomber malade à cause de ce qu’on a mangé ? Si on peut répondre oui à cette question on pourra sortir des griffes de ceux qui veulent notre argent sans nous rendre un bon service en retour.
Parallèlement à la culture intensive récente crée pour nourrir les citadins entassés dans de grandes agglomérations et souvent improductifs, il y a l’agriculture de base dont elle a dérivé et qui prévaut encore dans des zones rurales très reculées qui ont su résisté tant bien que mal à cette invasion massives des pratiques industrialisées. Cette agriculture qu’on appelle aujourd’hui l’agriculture biologique c’est tout simplement l’agriculture ancestrale à travers la Planète. C’est l’agriculture que pratiquaient nos ancêtres sur tous les continents avant que naissent les villes et leurs industries polluantes et dénaturantes. C’est vrai que l’agriculture biologique veut se faire avec des règles précises pour la distinguer de l’agriculture dite conventionnelle à base d’ingrédients industriels, mais oublier que c’est de l’agriculture traditionnelle à la base est une erreur à corriger.
L’agriculture traditionnelle consistait surtout à être en harmonie avec la nature tout au long du processus. Depuis le choix du champ jusqu’à la récolte et l’utilisation des produits agricoles, il y a des communications et des échanges avec la Nature. La Nature ici est comprise comme étant une entité vivante dans laquelle nous évoluons avec d’autres éléments visibles ou invisibles avec lesquels il faut compter. Quand il y a un problème grave il faut consulter pour en savoir la cause et ce qu’il convient de faire pour résoudre effacement ce problème. On croit généralement que des esprits locaux gouvernent les phénomènes comme la sécheresse, les inondations, des vents violents, des invasions de criquets migrateurs ravageurs, etc. et quand ils sont satisfaits des comportements des humains en leur faveur, tout revient sous contrôle. C’est une croyance parmi d’autres que nous avons et il suffit de la tester pour voir si elle marche. Je l’ai vu en marche dans mon village dans mon enfance.
Nous ne sommes pas seulement des entités physiques et ce que nous voyons avec nos yeux physiques ne constitue qu’une infime partie de la Nature. Si nous voulons revenir à l’agriculture traditionnelle, même en l’appelant Agriculture Biologique, nous devons nous rappeler de ce qui vient d’être dit. C’est en harmonie avec la Nature que nous pouvons avoir notre vraie place sur cette Terre.
Il nous est plus facile de prier Dieu qui est très loin de nous, mais beaucoup plus difficile de communiquer avec les petits dieux autour nous avec qui nous pouvons avoir des échanges plus directs et plus fructueux. A y voir de près, les traditions culturelles ont encore un grand rôle à jouer dans notre vie, si nous apprenons à faire de bons choix.
L’agriculture biologique qui dérive de l’agriculture traditionnelle tend à recycler les éléments naturels à travers des pratiques agricoles productives soucieuses de la sauvegarde de l’environnement et du bien être social. Dans un pays qui veut vraiment prendre son développement en charge c’est l’agriculture biologique qui vaut la peine d’être faite en ce qui concerne la vraie sécurité alimentaire.
Nous devons manger en quantité suffisante et en qualité et cela est possible grâce à l’agriculture biologique qui nourrissait bien nos ancêtres. Mais cette agriculture qui a bien d’autres atouts se fait comment aujourd’hui ?
• Il s’agit d’un système de production qui exclut l’utilisation des produits chimiques de synthèse tels que des engrais/fertilisants, des pesticides et des régulateurs de croissance provenant surtout des industries polluantes
Sa réussite repose sur le recyclage des déchets agricoles et d’autres biomasses souvent à travers la production et l’utilisation des fumures organiques, sous forme de composts par exemple
• Dans la pratique elle se fait à travers les techniques de rotation des cultures, de paillage, d’utilisation des méthodes biologiques de contrôle phytosanitaires, etc.
L’agriculture biologique peut-elle nous nourrir suffisamment en quantité et en qualité ?
C’est ce type d’agriculture qui nourrissait bien nos ancêtres et si nous y concentrons nos efforts et notre amour elle peut même nous nourrir mieux que nos ancêtres. Non seulement en tant que consommateurs responsables nous devons tous chercher à manger ce qui nous nourrit bien et nous garantit une meilleure santé mais aussi les producteurs parmi nous devraient prendre l’engagement de faire des efforts pour ne produire que des aliments sains dans un environnement sain. C’est en cela que le rôle des agriculteurs du Togo et d’autres pays est crucial.
Nous sommes tous là sur cette Terre pour nous développer et contribuer au développement général. Pour cela, chacun de nous doit se demander : ‘’qu’est-ce je peux faire pour mieux faire avancer le monde ?’’
Pour les producteurs agricoles que vous êtes, chers agriculteurs, cette question personnelle devient :
‘’Qu’est-ce que je peux produire bien pour mieux nourrir l’humanité et lui garantir une meilleure santé ? Quelle est ma spécialité agricole ? Quelle est ma spécialité d’éleveur ? Qu’est-ce que j’aime vraiment faire, qu’est-ce qui marche vraiment bien pour moi et qui est profitable à l’humanité ?’’
Et votre réponse peut être celle-ci :
‘’Je ne veux pas produire pour produire ou juste pour vendre et gagner de l’argent. Je veux produire pour vraiment servir l’humanité. Pour cela je vais produire bio’’.
‘’Si c’est dans ce domaine de production vraiment utile que j’ai besoin d’aide, l’aide qu’on me donnera sera bien utilisée et profitera à tous’’ !
Dans ce qu’on fait par amour, par conviction et par intérêt on doit faire des efforts pour atteindre l’objectif fixé, notamment en se mettant dans les meilleures conditions telles que :
Aimer vraiment ce travail et se donner entièrement à ce travail
Avoir un objectif ferme à atteindre
Avoir confiance en soi qu’on a les capacités nécessaires pour faire le travail requis
Etre conscient du service qu’on rend aux autres par son bon travail
Vouloir apprendre ce qu’on ne sait pas faire pour mieux réussir
Accepter d’apprendre même des gens plus jeunes mais qui ont du talent à partager
Vouloir faire tous ses efforts pour atteindre l’objectif, quelles que soient les difficultés rencontrées
Trouver un moyen de se donner du courage pour continuer à avancer quand les choses ne vont pas dans le bon sens
Etc.
Même bien conditionné et bien motivé, on peut avoir besoin d’aide pour mieux réussir, et les différents domaines d’aide dont on peut avoir besoin peuvent être :
La formation pour organiser et planifier son travail, pour commencer, continuer, achever et évaluer son travail, pour mieux gérer ses ressources, pour mieux définir, acquérir et utiliser des outils de travail, pour mieux communiquer, pour créer et gérer des associations actives, pour concevoir, rédiger et gérer des projets, etc.
Le financement des projets de développement
Le recrutement et la bonne gestion du personnel
La gestion et l’écoulement des produits
autres
Chers agriculteurs du Togo et d’ailleurs, j’ai juste voulu vous rappeler que vous avez un grand pouvoir que vous devez reconnaître et valoriser : sans votre travail de producteurs agricoles l’humanité ne peut pas continuer à fonctionner et exister. Mais vous devez aussi prendre conscience que ce travail doit nécessairement s’orienter aujourd’hui vers une production saine et respectueuse de la Nature qui pourra alors nous supporter durablement.
La production agricole biologique est celle qui nous donne vraiment la force et l’énergie dont nous avons besoin pour bien vivre. Elle se vend cher et peut donc bien nourrir ses pratiquants. Elle demande une main d’œuvre importante, une bonne opportunité pour former et embaucher des jeunes qui cherchent du travail et qui aiment l’environnement agricole.
Soyez fiers de produire bio ou de devenir de bons producteurs de bio. En faisant cela, vous devenez les vrais garants de la biodiversité agricole et naturelle que nos ancêtres nous ont léguée et que nous devons garder jalousement.
Profitez chers agriculteurs heureux, de l’aide que peut vous offrir le gouvernement ou d’autres institutions pour nourrir convenablement l’humanité et celle-ci vous le rendra au centuple.
Widi TCHALA, Ph.D.
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