L’exode rural, c’est-à-dire le départ massif des jeunes des villages ou campagnes vers les centres urbains, constitue encore, aujourd’hui, dans de nombreux pays en Afrique, ce qu’on peut appeler «le drame du développement désarticulé». Les jeunes quittent la campagne pour la ville, dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. La précarité et la misère qui caractérisent souvent les milieux ruraux, dues à l’absence de l’eau potable et de l’électricité, de centres des loisirs et des routes aménagées, etc., justifient la plupart du temps ce choix risqué, parfois attisé par l’influence de ceux qui reviennent souvent de la ville.
Lomé la capitale du Togo, tout comme les grandes métropoles en Afrique, est considérée comme l’ « eldorado, la ville de rêve où il fait bon vivre ». Kondikpè, jeune fille d’à peine 23 ans, en a fait une amère expérience, lorsqu’elle a débarqué, il y a quelques années à Lomé, venant d’un petit village de Sotouboua, dans la région Centrale. Peu de temps après son arrivée dans la capitale, elle s’est fait employer comme serveuse dans un bar à Cacaveli, où elle a travaillé sept mois. Après la fermeture pour cause de faillite, la nouvelle venue et deux de ses camarades se retrouvent dans la rue et peinent à se trouver un nouveau job.
Sa cousine qui l’hébergeait jusqu’alors au salon d’un logement modeste en compagnie de son époux et leurs deux enfants, ne pouvant plus la supporter, a dû la contraindre à quitter la maison. Kondikpè se réfugie chez une camarade du quartier et lorsqu’il fait jour, elle passe de maison en maison pour s’occuper de petits travaux que lui confient certains ménages. Ce qui lui permet de gagner quelques pièces d’argent pour se procurer de quoi manger et soutenir le loyer de cette camarade.
D’énormes difficultés commencent suite à une grossesse
Sans pouvoir mettre un centime de côté et ne sachant à quel saint se vouer, elle tombe dans les bras d’un jeune garçon dont elle venait de faire la connaissance. « Avec Tobias», raconte-t-elle», j’ai commencé à reprendre confiance à la vie. Mais au bout de trois mois, je suis tombée enceinte de lui et c’est là que le vrai calvaire a débuté. Je souffrais de douleurs du bas ventre et j’ai dû faire appel à une sœur du village pour me venir en aide, car mon ami, non plus, n’avait aucun un travail stable. Elle et Tobias m’ont conduite au CHU Sylvanus Olympio, parce que j’avais commencé à saigner abondamment. Voyant que je souffrais énormément, les sages-femmes ont décidé d’interrompre la grossesse pour me sauver la vie ».
Malgré cette expérience douloureuse, aucun argument ne peut dissuader notre jeune sœur à retourner au village. « J’ai honte de retourner à la campagne. Tous les camarades avec qui j’ai passé le BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle) ont aujourd’hui leur Baccalauréat », confie-t-elle, en larmes. Tout comme Kondikpè, nombreux sont les jeunes garçons et filles qui débarquent dans les grandes villes africaines, en quête d’une vie meilleure, mais finissent par découvrir, à leur dépend, le désenchantement des métropoles. Mais très souvent, la honte d’avoir échoué rend le retour en arrière difficile, voire inconcevable, comme vient de le confier cette jeune fille, qui connaissait pourtant la réussite à l’école.
Lomé offre des réalités d’autres capitales africaines
Lomé, à l’instar de certaines villes africaines, est le centre de regroupement de toutes les institutions politiques et économiques. C’est la ville qui « brille », de jour comme de nuit, avec ses grands immeubles, ses boulevards, ses centres des loisirs, ses marchés publics, son animation, etc. « Ceci n’a rien à voir avec mon village Akaba. Les rivières tarissent pendant la saison sèche. Le centre de santé est délabré et les femmes préfèrent accoucher à la maison. Il n’ya pas d’électricité et nulle part où s’amuser véritablement la nuit, voire apprendre nos leçons. Seuls les temps de la lune nous procurent un peu de bonheur, mais pendant la période des pluies, c’est vraiment pitoyable à cause de la boue partout », s’est désolé Kossi. Désillusionné après un an d’errements à Lomé, Kossi est devenu aujourd’hui, contre son gré, l’un des balayeurs de rue la nuit et aide-maçon, quand cela est possible, le jour.
Si malgré tout quelques-uns réussissent à se tirer d’affaire, la plupart des candidats à « l’aventure de rêve » en ville y vivent leur exode comme un chemin de croix. Ils ne sont hébergés par des proches parents ou des amis que pour un petit temps. Menacés le plus souvent par la faim, ils se livrent à une vie, à la limite condamnable. Les conséquences sont nombreuses et de divers ordres. Certains d’entre eux grossissent des bandes de criminels ou délinquants. Beaucoup de jeunes filles sont obligées de monnayer leur corps et finissent parfois dans les « geôles » de la prostitution, avec les effets que cela entraîne sur leur vie, en termes de maladies, de dignité, de leur propre sécurité, de déshonneur pour leurs familles, etc.
Œuvrer pour un développement équitable
« Il est difficile à un jeune garçon ou une jeune fille, même scolarisé, de résister à la tentation lorsqu’on lui fait miroiter le bonheur qu’il pourrait se procurer en ville, loin des corvées des champs, du port d’eau… et aussi, de l’enfermement de la campagne », reconnaît une autorité communale. Le processus de décentralisation en cours au Togo (qui vient de connaître une avancée significative avec l’élection de nouveaux maires et conseillers), convient-il, s’il est bien conduit, peut être une solution et un moyen efficace pour réduire le grand déséquilibre encore perceptible dans la façon de construire les villes et les villages en Afrique.
Seul un développement équilibré et équitable pourrait dissuader des jeunes des campagnes et villages à rester chez eux. Convaincu de cela, le gouvernement togolais a initié plusieurs projets et programmes au profit des jeunes et des couches défavorisées. Le programme d’électrification rurale « CIZO), lancé en juin 2018 au Togo, vient ainsi à point nommé. Il a déjà permis l’électrification d’au moins 15.000 foyers à travers des systèmes solaires individuels et de former plus de 3 000 techniciens à l’installation de ces systèmes.
Le 17 décembre de l’année écoulée, ce programme a reçu le soutien du « Projet d’Appui au Volet Social du Programme d’Electrification Rurale du Togo (PRAVOST) », financé par la Banque Africaine de Développement (BAD) et l’Union Européenne (UE), à hauteur de 7,9 milliards de FCFA. Ce projet, qui constitue la composante de CIZO, devra contribuer, au cours des années à venir, à l’augmentation progressive du taux d’accès à l’énergie propre pour les infrastructures communautaires et à la résilience des agriculteurs, en déployant des pompes d’irrigation solaires, entre autres.
Des actions à saluer
Aussi, les actions que mène le gouvernement par le biais des départements sectoriels, tels que le ministère de l’Energie et des Mines, dans le cadre du programme commun de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) en matière d’électrification rurale sont-elles à saluer. Ceci, quand on sait que l’électricité est « la chose » qui attire plus les jeunes vers les villes en Afrique. Cette électrification des campagnes va entraîner la création de nouvelles activités génératrices de revenus, démultiplier les centres de loisirs dans le pays…
Comme impact, à court terme, on peut espérer que les jeunes candidats à cette aventure ne vont plus envier ceux de la ville. Mieux, le chef de l’Etat, Faure Essozimna Gnassingbé, a été réélu, à l’issue du scrutin présidentiel du 22 février 2020. Les nombreuses promesses qu’il a faites aux populations togolaises, lors de ses sorties de campagne, dans le cadre de ce scrutin, sont de nature à revigorer le labeur des Togolais et renforcer l’espoir que demain sera meilleur.
Du reste, comme on le dit souvent, « on est nulle part mieux que chez soi ». A chacun donc de se battre pour forger son destin, par ce temps où les campagnes offrent les meilleures opportunités de réussites que les centres urbains, lieux des individualités par excellence.
Martial Kokou KATAKA
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