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Mme Awa Nana Daboya : «Nous prenons d’abord en compte une partie des victimes de 2005 parce que ces événements sont récents et recèlent des victimes qui portent encore des séquelles»

Mme Awa Nana Daboya, présidente du HCRRUN
Mme Awa Nana Daboya : «Nous prenons d’abord en compte une partie des victimes de 2005 parce que ces événements sont récents et recèlent des victimes qui portent encore des séquelles»

 Le Premier ministre, M. Komi Selom Klassou a officiellement lancé le 24 mars dernier, le programme de réparation des dommages et préjudices aux victimes des violences politiques au Togo de 1958 à 2005, initié par le Haut Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN). Dans la foulée, la présidente de l’Institution, Mme Awa Nana Daboya, revient sur le sujet en donnant dans cette interview de nouveaux éclairages sur le programme.   

Togo-Presse : Le Haut Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) a entamé le deuxième volet de sa mission qui concerne les réparations. De quoi s’agit-il ?

Mme Awa Nana Daboya : Il s’agit de la mise en œuvre de la recommandation 53 de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) qui stipule que toutes les victimes directes identifiées par le programme de réparations fassent l’objet d’indemnisation qui devra être modulée en fonction du type de préjudice subi et en tenant compte des critères de vulnérabilité.

T-P : L’événement a été officiellement lancé le 24 mars dernier par le Premier ministre. Dites-nous, quelles sont les différentes étapes de la mise en œuvre de cette phase des réparations ?

Mme A. N. D. : Nous envisageons des tournées d’informations et d’échanges avec les victimes et les populations pour recueillir leur adhésion avant de commencer les indemnisations proprement dites qui ont caractère symbolique. Trois pôles seront constitués pour cela :   Kara, Atakpamé  et  Lomé.

T-P : Etant entendu que la période couverte par les travaux de la CVJR allait de 1958 à 2005, quelle catégorie de victimes sera prise en compte pour cette première phase et pourquoi?

Mme A. N. D : Seront prises  en compte toutes les  personnes ayant subi un préjudice du fait de violence à caractère politique, les victimes directes ou indirectes.  Pour cette première phase, c’est essentiellement une partie des victimes des événements de 2005 qui est prise en compte. Ceci parce que c’est  en 2005 qu’il y a eu les événements consécutifs  au décès  du président  Gnassingbé Eyadema  le  5 février et les événements consécutifs à l’élection présidentielle d’avril 2005. Ces deux événements sont récents et recèlent des victimes qui portent des séquelles et  il urge d’intervenir  et leur procurer des soins.

T-P : Quel sort est réservé aux victimes recensées pour le compte des périodes antérieures à 2005 ?

Mme A. N. D : Ces victimes ne seront pas oubliées. Elles seront prises en compte, au fur et à mesure le moment venu et  progressivement afin de couvrir toute la période de 1958 à 2005.

T-P : Les victimes peuvent-elles faire recours à d’autres juridictions

Mme A. N. D : Ce n’est pas exclu. Les victimes ont le droit de recourir à des juridictions si elles le souhaitent  mais  je précise  que  en faisant le choix de la justice transitionnelle, le Togo a voulu privilégier  le pardon. Si quelqu’un n’en veut pas, il peut ester en justice, pas contre l’Etat bien sûr, mais contre un individu ou des personnes qu’il voudra voir poursuivre en justice.

T-P : Selon les standards internationaux, il existe plusieurs types de réparations. Si oui lesquels ?

Mme A. N. D : Selon les standards internationaux, il existe cinq formes de réparation : la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et  les garanties de non-répétition. La restitution devrait, dans la mesure du possible, rétablir la victime dans sa situation antérieure aux violations qu’elle a subies.  Elle comprend, selon qu’il convient, la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l’homme, de l’identité, de la vie de famille et de la citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence antérieure et la restitution de l’emploi et des biens etc. L’indemnisation devrait être accordée pour tout dommage résultant des violations subies et se prête à une évaluation économique, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de chaque cas, tel que : le préjudice physique ou psychologique; les occasions perdues, y compris en ce qui concerne l’emploi, l’éducation et les prestations sociales ; les dommages matériels et la perte de revenus, y compris la perte du potentiel de gains ; le dommage moral ; les frais encourus pour l’assistance en justice ou les expertises, pour les médicaments et les services médicaux et pour les services psychologiques et sociaux. Quant à la réadaptation, elle s’entend de la prise en charge médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux. La satisfaction devrait comporter, le cas échéant, tout ou partie des mesures suivantes : les mesures efficaces visant à faire cesser  les violations persistantes ; la vérification des faits et la divulgation complète et publique de la vérité, dans la mesure où cette divulgation n’a pas pour conséquence un nouveau préjudice ou ne menace pas la sécurité et les intérêts de la victime, des proches de la victime, des témoins ou de personnes qui sont intervenues pour aider la victime ou empêcher que d’autres violations ne se produisent ; la recherche des personnes disparues, de l’identité des enfants qui ont été enlevés et des corps des personnes tuées, et l’assistance pour la récupération, l’identification et la réinhumation des corps conformément aux vœux exprimés ou présumés de la victime ou aux pratiques culturelles des familles et des communautés ; la déclaration officielle ou une décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits ; les excuses publiques, notamment reconnaissance des faits et acceptation de responsabilité ; les sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des personnes responsables des violations ; les commémorations et hommages aux victimes; l’inclusion dans la formation au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire et dans le matériel d’enseignement à tous les niveaux, d’informations précises sur les violations qui se sont produites. Enfin, les garanties de non-répétition devraient inclure, le cas échéant, tout ou  partie des mesures suivantes qui contribueront aussi à la prévention et qui consistent à veiller au contrôle efficace des forces armées et des forces de sécurité par l’autorité civile. Veiller à ce que toutes les procédures civiles et militaires soient conformes aux normes internationales en matière de régularité de la procédure, d’équité et d’impartialité ; renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire ; protéger les membres des professions juridiques, médicales et sanitaires et le personnel des médias et d’autres professions analogues, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme. Il s’agira aussi de dispenser, à titre prioritaire et de façon suivie, un enseignement sur les droits de l’homme et le droit international humanitaire dans tous les secteurs de la société, et une formation en la matière aux responsables de l’application des lois et au personnel des forces armées et de sécurité ; encourager l’observation de codes de conduite et de normes déontologiques, en particulier de normes internationales, par les fonctionnaires, y compris les responsables de l’application des lois, les personnels de l’administration pénitentiaire, des médias, des services médicaux psychologiques et sociaux et le personnel militaire, ainsi que par les entreprises. Il s’agira enfin de promouvoir des mécanismes pour prévenir, surveiller et résoudre les conflits sociaux en bref introduire des réformes qui prennent en compte les lois favorisant ou permettant d’éliminer des violations flagrantes du droit international, des droits de l’homme et des violations graves du droit international humanitaire.

T-P : Dites-nous pourquoi le HCRRUN a choisi  de commencer par l’aspect pécuniaire des réparations.

Mme A. N. D : En se référant aux différents types de réparation, vous voyez que l’aspect pécuniaire ne domine pas partout ; c’est le cas par exemple de la restitution et de la satisfaction. En réalité cette première tranche de fonds de 2 milliards, permettra d’indemniser seulement 2475 victimes dont les préjudices s’élèvent à moins d’un million de francs. Elle est insuffisante pour faire face aux autres formes de réparations

T-P : Vous l’avez dit plus haut, des tournées sont en vue par rapport  au programme de réparation. Quel message sera apporté aux populations ?

Mme A. N. D : Au cours des tournées, nous apporterons aux populations un message de pardon et de réconciliation afin que les cœurs meurtris puissent accepter la main tendue de l’ennemi d’hier.

T-P : Des cérémonies  de purification sont également prévues. A-t-on réellement besoin de ces cérémonies qui paraissent comme du folklore ?

Mme A. N. D : L’organisation des cérémonies de purification est conforme à la recommandation 47 de la CVJR qui « invite toutes les confessions religieuses (églises chrétiennes, union musulmane, chefs traditionnels, prêtres traditionnels) à mettre en commun leurs énergies pour « purifier le Togo », faciliter le repos des âmes  des victimes décédées ou disparues, apaiser les cœurs meurtris, et accompagner spirituellement la réconciliation ». La CVJR invite à cet effet le gouvernement à assurer la coordination de ces cérémonies. Donc le HCRRUN n’invente rien, ni n’ajoute rien à ce qui est dans son cahier des charges.

T-P : Ces cérémonies ne seront-elles pas onéreuses pour le programme de réparations

Mme A. N. D : Plusieurs confessions religieuses se sont engagées à organiser gracieusement ces cérémonies. Et s’il faut dépenser un peu dans certaines circonstances, le HCRRUN devra le faire. Sinon, la plupart des confessions religieuses  ont assuré  de leur disponibilité à nous accompagner.

T-P : Vous parlez de réparation symbolique que doit- on comprendre par-là ?

Mme A. N. D : En justice transitionnelle la réparation est surtout symbolique c’est-à-dire insignifiant en montant mais porteur de signification et de symbole. Par exemple on parle de condamnation a un « franc symbolique » qu’est-ce à dire ? Pour quelqu’un qui est condamné à  un franc symbolique, le montant n’est rien mais la condamnation figure dans le casier judiciaire et donc le casier fait état de la condamnation. C’est le cas de  réparations immatérielles telle la restauration de la dignité des victimes, la reconnaissance de leur statut…etc.

T-P : Vous avez reçu deux milliards pour cette première  phase. Comment comptez-vous gérer ce fonds dans la transparence et qu’allez-vous faire pour satisfaire toutes les victimes dans la période retenue pour la réparation ?

Mme A. N. D : Nous voudrions tout d’abord dire merci au Président de la République et au gouvernement pour cette  dotation qui  permettra  au  HCRRUN de démarrer la phase de réparations puis pour la création d’un fonds spécial qui sera progressivement alimenté pour permettre la poursuite de l’indemnisation de toutes les victimes recensées par la CVJR. La gestion de ce fonds sera confiée  à un comité de trois personnes nommées par arrêté ministériel et placé sous la tutelle du HCRRUN. Elle se fera donc  dans la transparence dans la mesure où c’est le HCRRUN qui a sollicité la mise en place de ce comité. Tous les payements et dépenses seront publiés au travers d’un rapport financier et moral. Les indemnisations se feront publiquement en trois pôles (Kara, Atakpamé et Lomé) avec l’assistance et la présence d’huissiers et de comptables publics, ainsi que les médias et les services de sécurité, le tout retransmis par la presse, la radio et la télé.

T-P : Quel est votre message à l’endroit des différents acteurs (gouvernement, partenaires techniques et financiers, victimes)  à cette étape des réparations ? 

Mme A. N. D : Une fois encore, nous voudrions exhorter  le gouvernement à poursuivre sa dynamique d’accompagnement du HCRRUN dans cette phase du processus de réparation afin de satisfaire toutes les victimes ou leurs ayant droits. Que les partenaires techniques et financiers qui nous accompagnent à diverses étapes  du processus de réconciliation trouvent ici l’expression de  notre reconnaissance pour leur appui multiforme. Nous remercions les victimes pour leur patience, et les invitons à rester à l’écoute pour  prendre connaissance du calendrier des indemnisations qui se situeront sur 3 pôles : Kara, Atakpamé et Lomé le moment venu. Aux médias que nous comptons sur leur professionnalisme et la qualité de leurs communications pour un accompagnement de qualité.

La Rédaction

 

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