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Le Togo va basculer dans la 5e République, avec en trame de fond le passage du régime semi-présidentiel à un régime parlementaire. Dans cette dynamique, le pays s’apprête à organiser, pour la première fois de son histoire, les élections sénatoriales, le 15 février prochain, pour élire les 61 sénateurs. Ces élections décisives à bien des égards, constituent l’une des dernières étapes pour la mise en place de la nouvelle Constitution, un pilier essentiel dans l’architecture institutionnelle. Mais, entre sénateur et député, il n’est pas évident que les différences soient nécessairement bien comprises par le citoyen lambda. Dans une interview, Dr Mazamesso Wella éclaire l’opinion sur ce qu’est une Assemblée nationale, un parlement et un Congrès, tout en évoquant la différence entre chambre haute et celle basse.
Question : Dr Mazamesso Wella, le Togo se prépare à élire des sénateurs dans quelques jours. Dites-nous, juridiquement parlant, ce qu’est un sénateur dans une République ?
Réponse : Merci. Le sénateur est un parlementaire appartenant à l’une des chambres du parlement qui est le Sénat. Puisque le parlement dans la cinquième République est composé de deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat.
Question : Dites-nous, quel est l’intérêt stratégique et institutionnel pour le Togo d’avoir une chambre haute qu’est le sénat ?
Réponse : Il faut dire que la Constitution du 6 mai 2024 institue ce qu’on appelle le bicaméralisme, c’est-à-dire un parlement composé de deux chambres. Dans ce cadre, l’élection du 15 février permettra de désigner ou d’élire les deux tiers des sénateurs. Ceci, pour que le sénat soit mis en place, afin que le parlement puisse fonctionner à plein régime. Parce que dans cette nouvelle constitution, il est prévu que le parlement fonctionne avec deux chambres.
Question : Et en quoi cet organe complète-t-il le système législatif unicaméral ?
Réponse : Il faut dire que la mise en place du Sénat est décisive pour plusieurs raisons. D’abord, conformément à la nouvelle constitution, faire les lois n’est pas la seule prérogative de l’Assemblée nationale. Désormais, l’Assemblée nationale ne pourra pas seule adopter une loi, il faut le concours du Sénat. La seconde raison, c’est que le Sénat participe aux côtés de l’Assemblée nationale ; les deux formant le parlement réunis en congrès, participent à la désignation de certaines hautes personnalités, notamment le président de la République, mais également à la désignation de certaines autorités, notamment les membres de la Cour constitutionnelle.
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Question : Pour le commun des mortels, le citoyen lambda, on parle de sénateurs au niveau du Sénat et de députés à l’Assemblée nationale. Dites-nous, quelle est la différence entre un député et un sénateur ?
Réponse : D’abord, du point de vue fonctionnel, les deux participent à l’activité législative, les deux légifèrent. Mais, il faut les distinguer du point de vue statutaire et un peu du point de vue de leur prérogative. Du point de vue statutaire, le député est élu au suffrage universel direct et représentant le peuple. Tandis que le sénateur est élu au suffrage universel indirect, c’est-à-dire élu par un collège d’électeurs et dans le cas togolais, le sénateur sera élu par les conseils municipaux et régionaux. Donc, du point de vue statutaire, leur mode de désignation se distingue.
Du point de vue fonctionnel, ils n’ont pas les mêmes prérogatives. En matière législative, c’est-à-dire faire les lois, le député a une prééminence sur le sénateur. Parce que, lorsque les deux chambres ne s’accordent pas pour adopter une loi, c’est l’Assemblée nationale qui vote la loi en dernier ressort à une majorité absolue.
De la même manière, le député a des prérogatives en matière de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement. L’Assemblée nationale peut renverser le gouvernement dans le cadre même du contrôle de l’action gouvernementale. Ce qui n’est pas de la compétence du sénateur. Donc, de ce point de vue, c’est vrai que les deux forment le parlement, mais il y a une différence entre le sénateur et le député.
Question : Expliquez-nous concrètement ce qu’est une assemblée nationale, un parlement et congrès.
Réponse : Il faut dire que le parlement, dans ce qu’on appelle la trilogie fonctionnelle, dans un Etat, on distingue trois fonctions, la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction de juger. C’est le parlement qui exerce la fonction législative, celle de faire les lois. Maintenant, quels sont les organes qui exercent cette fonction législative au sein du parlement ? Dans notre cas, ce serait l’Assemblée nationale et le Sénat. Donc, c’est les deux qui forment le parlement, donc les deux chambres du parlement. Les deux peuvent se réunir pour exercer une fonction ensemble. Lorsque les deux se réunissent, on parle du congrès.
Question : En termes de hiérarchie parlementaire, situez-nous un peu sur la notion de chambre haute et chambre basse.
Réponse : C’est vrai que dans la Constitution, un article dit que l’Assemblée nationale est la première chambre et le Sénat la seconde chambre. Ailleurs, ça s’appelle chambre haute et chambre basse. En réalité, cette distinction dénote des prérogatives des deux chambres. La première chambre, c’est-à-dire l’Assemblée nationale, a une prééminence dans l’activité législative, c’est-à-dire qu’elle détient le dernier mot. En cas de désaccord, elle a plus de prérogatives.
La seconde chambre, qui est le Sénat, est plus une chambre qui assiste la première, qui a une fonction plus régulatrice de l’activité législative, qui contribue à l’amélioration de la qualité des lois. Donc, c’est dans ce sens qu’on considère que la première chambre, c’est l’Assemblée nationale et la seconde, c’est le Sénat.
Question : Est-ce qu’on peut parler de hiérarchie dans le fonctionnement ?
Réponse : Il n’y a pas une hiérarchie en réalité. Ce sont des chambres autonomes, chacune avec son organisation interne, avec son bureau et sa procédure législative et son fonctionnement interne. Maintenant, en termes de prérogatives, c’est-à-dire de pouvoir dans le fonctionnement des institutions, l’Assemblée nationale a plus de prérogatives. Mais on ne pourrait pas pour cela dire qu’il s’agit d’une hiérarchie pour dire que l’Assemblée nationale est au-dessus ou pouvait, en tout cas, mettre en jeu ou renverser. Non, ce n’est pas possible.
Question : Précisez-nous, docteur, comment cela va fonctionner concrètement entre le Sénat et l’Assemblée nationale ?
Réponse : Alors, il faut dire qu’entre ces deux chambres, il doit y avoir des actions et des interactions. Lorsque le gouvernement prend une initiative de faire voter une loi, ce qu’on appelle le projet de loi est d’abord déposé à l’Assemblée nationale. Même si c’est une proposition de loi, c’est-à-dire une initiative de loi venant du Sénat ou de l’Assemblée nationale, c’est d’abord déposé à l’Assemblée nationale. Donc, l’Assemblée nationale est la première à intervenir. Elle étudie et adopte d’abord le projet ou la proposition de loi. Ensuite, le projet ou la proposition adoptée par l’Assemblée nationale est envoyé au Sénat, qui l’étudie et l’adopte dans les termes identiques. Et lorsque c’est le cas, la loi est considérée comme adoptée. Elle pourra être promulguée et mise en vigueur.
Mais, lorsque la première adoption de l’Assemblée nationale envoyée au Sénat a fait l’objet d’amendements, dans ce cas-là, il est mis en place ce qu’on appelle une commission mixte paritaire. Les deux chambres vont travailler pour pouvoir s’accorder. Et si les deux chambres arrivent à s’accorder, l’Assemblée nationale vote maintenant la loi en deuxième lecture. Mais, il peut arriver que l’Assemblée nationale ne soit pas d’accord également à la suite des travaux de la commission mixte paritaire.
Dans ce cas, c’est l’Assemblée nationale qui adopte seule la loi à une majorité absolue.
Question : Maintenant, quelle sera selon vous la valeur ajoutée du Sénat dans l’architecture institutionnelle du Togo ?
Réponse : Du point de vue de l’architecture institutionnelle, il faut dire que dès que le sénat sera opérationnel, le parlement va fonctionner désormais à plein régime. Le Sénat est aussi important pour la mise en place des autres institutions, notamment l’élection du président de la République qui a lieu au suffrage universel direct, dont les électeurs ne sont que les deux chambres, notamment les sénateurs et les députés réunis en congrès. De ce point de vue, l’élection du 15 février prochain est décisive. Parce que, c’est elle qui permettra de mettre en place les autres institutions.
Question : Venons-en maintenant au rôle et à la responsabilité du sénateur.
Réponse : Alors, il faut dire tout simplement que le rôle du sénateur, c’est de faire les lois. Sa responsabilité, si vous regardez très bien dans l’élection des sénateurs, ils sont élus par les représentants des collectivités territoriales. Donc, dans un Etat unitaire, les sénateurs représentent plus les territoires, c’est-à-dire les collectivités territoriales. Dans les états fédéraux, les sénateurs représentent plus les états fédérés, et donc les sénateurs vont jouer un rôle important dans la régulation du fonctionnement harmonieux des territoires, pour qu’il n’y ait pas de déséquilibre, pour qu’ils puissent avoir une cohésion dans le développement du pays.
Question : Dans quelle mesure les élections sénatoriales du 15 février prochain s’inscrivent dans le cadre des réformes politiques récentes au Togo ?
Réponse : Alors, il faut dire que l’une des innovations essentielles de la Constitution du 6 mai 2024, est le bicaméralisme. Et donc, les élections du 15 février sont décisives, pour que désormais nous ayons un parlement bicaméral qui va contribuer substantiellement, non seulement à l’amélioration de la qualité des lois, mais aussi au renforcement de la participation citoyenne. Il faut dire également que le Sénat va contribuer à décentraliser le pouvoir public, en renforçant la participation des citoyens des collectivités à l’exercice du pouvoir politique.
Question : Pour terminer, quelle est la portée symbolique et pratique de cette élection du 15 février prochain dans le contexte démocratique du Togo ?
Réponse : Il faut dire que c’est l’ancrage démocratique. L’ancrage démocratique pour dire que désormais nous avons plusieurs élections. Or, l’élection est un moyen de participation des citoyens à l’exercice du pouvoir. Et donc, les élections sénatoriales qui auront lieu, dans les jours à venir, sont un signe de renforcement de la démocratie représentative, la démocratie parlementaire dans notre pays.
Question : Entre les sénateurs élus et les sénateurs désignés par le président du conseil, quelle est la différence ?
Réponse : Il faut dire que l’ordonnance de novembre 2024 prévoit 61 comme nombre de sénateurs. Deux tiers sont élus, ce qui va se passer, le 15 février prochain. Et le tiers, c’est-à-dire les 20 restants seront désignés par le président du Conseil. Il faut dire que ce n’est pas une nouveauté togolaise.
En réalité, sous d’autres cieux comme en France, un quota de sénateurs est nommé par le président de la République. Du point de vue statutaire, les sénateurs nommés et les sénateurs élus forment le Sénat et ont les mêmes avantages, les mêmes prérogatives, le même statut et ont les mêmes protections parlementaires, en termes d’immunité, d’irrévocabilité et autres. Il faut également préciser que le fait que le constituant ait prévu qu’un quota soit désigné participe à la régulation du fonctionnement de l’Etat. Parce que vous savez qu’à l’Assemblée nationale, les députés sont élus. Ils émanent des partis politiques.
Il se peut qu’il y ait des querelles au sein des partis politiques où l’adoption des lois puisse être tellement partisane. En réalité, en donnant les prérogatives au président du Conseil, au président de la République ailleurs, de désigner les sénateurs, ça lui permet d’exercer son pouvoir de régulation et d’arbitrage. Ce qui permet de réguler, d’une manière, le fonctionnement du parlement, étant donné que le parlement joue un rôle crucial dans le fonctionnement d’un régime parlementaire.
La Rédaction
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