Toute blanche, peau à deux tons… la majorité des femmes togolaises semble prendre en aversion la couleur noire de leur peau. Elles optent la dépigmentation, avec pour seule finalité, devenir une femme au teint clair . Malgré les problèmes de santé, la dépigmentation continue de séduire les femmes de tous âges, voire des hommes. Pour l’association « Envol Vers l’Accomplissement » (EVA), la lutte doit être perpétuelle contre ce phénomène Ce message a été réitéré lors d’ une conférence sur le thème « peau noire et métissée, atouts et défis de la santé publique, culture, cosmétique et santé » le 18 décembre dernier à Lomé. C’était en présence de la ministre de l’Action sociale et de la Promotion de la Femme, Mme Kolani Yentcharé.
La dépigmentation artificielle est devenue un véritable phénomène de société en Afrique où il est apparu à la fin des années 60. L’éclaircissement de la peau par différents procédés est pratiqué dans plusieurs régions d’Afrique, mais les principaux pays touchés par ce phénomène sont le Togo, le Sénégal, le Mali, le Congo et l’Afrique du Sud.
« Au Togo, le teint clair est considéré comme un critère de beauté et le signe d’une certaine aisance sociale », explique Mme Nadine, une esthéticienne établie à Gbadago. C’est pourquoi, renchérit-elle, de nombreuses femmes cherchent à se dépigmenter. Le phénomène a pris une ampleur considérable de nos jours. Ainsi, des femmes analphabètes ou lettrées, toutes semblent ne pas pouvoir résister au désir de changer la couleur de leur peau. Complexe d’infériorité, effet de mode, choix esthétique, quelle que soit la justification, la dépigmentation reste un phénomène de société difficile à extraire du subconscient des femmes. Ceci parce que la peau noire et métissée, a été pendant longtemps perçue comme moins présentable ou sous-évoluée. Elle n’en est pas moins belle que les autres peaux.
Plus belle et plus résistante, la peau noire et métissée devrait être une fierté. C’est là le fond du message partagé le 18 décembre dernier, lors de la rencontre d’échanges organisée par l’association « Envol Vers l’Accomplissement » (EVA) à l’hôtel Eda Oba autour du thème « peau noire et métissée, atouts et défis de la santé publique, culture cosmétique et santé ».
Pour la présidente d’EVA, Mme Evelyne Nicoué AYEVA, la rencontre vise à sensibiliser davantage la population sur les méfaits de la dépigmentation. Il s’agit de faire comprendre que cette pratique ne rend pas plus belle et que les pratiques utilisées ne sont pas les bonnes.
A l’occasion, l’assistance a été entretenue sur différentes thématiques. La première a été la « couleur comme marqueur de l’histoire » présentée à partir des recherches de l’anthropologue français Alain Froment. Ces travaux ont démontré comment la mélanine a subi des mutations pour donner naissance à différentes couleurs. Les explications ont permis de démontrer que l’albinisme n’était pas héréditaire et surtout combien il est important de se départir du complexe d’infériorité de la peau noire vis-à-vis de la peau blanche. L’assistance a été conviée à se départir du complexe de la couleur de peau et à réussir à s’affirmer comme Barack Obama, Salif Kéita, etc.
Mme Nicoué Ayeva a, dans le 2ème exposé, montré l’ampleur de la dépigmentation qui, selon un sondage, touche, aujourd’hui, 59% de la population togolaise. Et les conséquences, a-t-elle indiqué, sont désastreuses vu que les produits utilisés par les fabricants de cosmétiques nuisent à la santé de la peau et même de l’organisme. La lutte contre la dépigmentation passe, selon la présidente d’EVA, par le choix des produits cosmétiques sains qui n’abîment pas la peau ni la rendent malade.
L’autre face de la dépigmentation
La dernière thématique, « la culture cosmétique et la santé » a été présentée par le Dr Fidèle Attikpo. Dans sa communication, il a recommandé l’entretien de l’ADN de la peau pour qu’elle ne vieillisse pas. Il a expliqué qu’il existe des antioxydants qui permettent de régénérer et réparer les cellules mortes. Le Dr Attikpo a, pour cela, recommandé aux participants de choisir les produits cosmétiques qui ne dépigmentent pas la peau. Les femmes utilisent différentes sortes de produits pour se dépigmenter. A en croire le médecin, ces produits contiennent le plus souvent des dermacorticoïdes d’activité très forte, de l’hydroquinone, ou des dérivés contenant du mercure qui sont présentés sous forme de crèmes, gels, laits corporels ou savons qui sont appliqués sur de longues périodes sur une grande surface de peau. Les conséquences sont locales, globales et systémiques car ces substances passent facilement dans le sang. Ces produits entraînent, aussi, des effets non dermatologiques : altération osseuse, hypertension artérielle, diabète, complications rénales et neurologiques. Ils exposent aussi l’enfant à des risques toxiques en cas d’utilisation chez la femme enceinte ou allaitante. Les conséquences sont importantes. Parmi celles-ci, on note l’apparition de cancers, notamment de carcinomes épidermiques. Les produits cosmétiques à base d’hydroquinone gomment en surface tout le pigment noir. Ceci alors que l’utilisation de l’hydroquinone requiert une préparation préalable de la peau pour accélérer l’éclaircissement et obtenir un teint plus ou moins uniforme. Pour cela, les femmes utilisent de l’eau de Javel, de la potasse, du shampooing Dop pour se frotter vigoureusement la peau dans le but d’éliminer la mélanine qui se trouve en surface, avant d’appliquer le produit qui se chargera de la destruction de la mélanine en profondeur. Il y a, ensuite, des allergies qui se manifestent par l’apparition de boutons sur tout le corps, des noirceurs des parties de la peau exposées au soleil. Ce qui est inquiétant et déplorable, c’est que dans certains cas, la gravité de ces allergies peut entraîner la mort , a renchéri Dr Grégoire Kouhanou, qui a pris part active aux travaux de cette rencontre.
Cette pratique, communément appelée « ambi » au Togo, s’est transformée en une obligation, et fait objet de concurrence chez les femmes, notamment les jeunes filles des grandes villes du Togo qui sont encouragées, la plupart du temps par leurs partenaires. C’est pourquoi la ministre Kolani Yentcharé a salué l’initiative de l’association EVA qu’elle a exhortée à continuer ce travail de sensibilisation, afin de conscientiser aussi bien les femmes que les hommes, qui s’y adonnent de plus en plus.
Quand la boulimie d’« ambi » s’empare des hommes
Un tour en ville permet de constater que la dépigmentation touche la gent masculine. Pour certains, cela frise carrément le ridicule ! Car même si le phénomène est une chose acquise chez les femmes, il est inconcevable, sous nos cieux de voir un homme s’y adonner, sous peine d’être taxé d’« homosexuel ». Et pourtant la donne commence par changer. Ici et là, on voit des hommes qui se dépigmentent.
Certains expliquent leur penchant pour les produits éclaircissants par le fait qu’une trop longue exposition au soleil provoque un noircissement de leur peau. Comme en attestent les propos d’Olivier, maçon de profession. «Je suis exposé toute la journée au soleil et le ciment que j’utilise noircit encore plus ma peau. C’est pour cela que je mets un peu des produits utilisés par ma femme et je retrouve à peu près mon teint normal. Et pour ces hommes obsédés par « le désir de se sentir bien dans leur peau, l’essentiel, c’est d’être, beau, d’avoir du charme pour séduire », confie Koffi, maître-coiffeur.
Pourtant, rares sont les femmes qui apprécient la dépigmentation féminine. “Un homme qui se dépigmente”, dénonce Mme Kossiwa, employée de banque, “c’est moche !” Je pense qu’ils le font par souci de beauté mais, je préfère de loin les hommes au teint naturel » confie Margaret, étudiante à l’ESGIS. “Le naturel fait plus beau, et en plus, c’est plus respectable» ajoute-t-elle. Pour Mme Pialo, secrétaire de direction, « un Noir, c’est un Noir et un Blanc reste un Blanc! La plus belle couleur de notre peau est celle que Dieu nous a donnée. Je trouve que les noirs dépigmentés sont vraiment moches et ils me font peur… On dirait qu’ils ont une maladie de la peau! C’est vraiment le monde à l’envers : Au moment où les européens veulent à tout prix bronzer, se transformant en lézards de plage s’exposent dangereusement aux rayons et aux coups de soleil. Les hommes togolais, par complexe, font tout pour leur ressembler ! ».
Somme toute, la dépigmentation est fortement déconseillée car elle fragilise l’ensemble du système immunitaire (la mélanine qui est détruite par ces procédés est un écran de protection contre les dangereux rayons du soleil, de plus elle contient la vitamine D dont tout le corps à besoin). Les amateurs de ces produits dépigmentant connaissent très bien tous les rouages de la pratique. Ce qu’ils ignorent, ce sont les conséquences désastreuses sur leur santé. Parmi celles-ci, on peut citer les cancers de la peau, les cicatrisations très difficiles, des leucémies voire la mort. Il est, donc, clair que les amateurs exposent leur vie et doivent prendre conscience de cela. Face à une situation aussi dangereuse où les amatrices des produits dépigmentant, bien qu’elles vivent au quotidien les conséquences physiques de la pratique, continuent de foncer, la sensibilisation, la formation et l’information à leur égard s’imposent. Il urge donc d’expliquer aux populations les risques auxquels elles s’exposent à travers la dépigmentation, pour qu’elles puissent accepter leur peau naturelle. Elles doivent se résigner, car la peau naturelle est belle, solide et n’a pas besoin de ces produits dégradants qui ne font que l’intoxiquer.
Charlotte DAKLOU
RSS