Un colloque international sur les « soixante ans de contentieux administratif en Afrique noire francophone : quelles leçons pour le Togo ? », a mobilisé, samedi, des praticiens et théoriciens du droit dans les locaux de l’Institut Supérieur de Droit et d’Interprétariat (ISDI) à Lomé. L’analyse du fonctionnement des juridictions administratives, depuis l’accession des Etats africains francophones à la souveraineté nationale, a permis d’évaluer les contraintes auxquelles elles sont confrontées. L’objectif étant de partager les bonnes pratiques à expérimenter, pour la dynamisation de ce système judiciaire qui vise l’équilibre entre les droits des particuliers et l’activité administrative dans un but d’intérêt général. Des actes seront publiés, pour permettre au public et aux acteurs de s’en inspirer pour améliorer le contentieux administratif au Togo.
Selon les termes du droit public, le contentieux administratif peut être appréhendé comme l’ensemble des procédures menées par un citoyen se sentant lésée par une décision administrative. L’usager initie divers recours, afin de faire juger par un tribunal administratif, le litige l’opposant à un service de l’Etat. Soixante ans après les indépendances, quel est le niveau du développement des contentieux dans les pays africains et les perspectives conjoncturelles et structurelles ? Ces questions qui engagent des réflexions multidimensionnelles sur l’égalité des armes entre la puissance publique et les individus, l’indépendance et l’impartialité du juge administratif, ont été débattues au cours d’un colloque sur les « Soixante ans du contentieux administratif en Afrique noire francophone : Quelles leçons pour le Togo ? », samedi à Lomé. Cette journée de réflexion a permis aux juristes, praticiens et universitaires de passer au crible les différentes facettes du contentieux administratif, de la configuration des organes juridictionnels au procès, en passant par la convocation des paradigmes comparatifs, les spécificités togolaises et la typologie des contentieux
administratifs.
Dynamiser le contentieux administratif et faire valoir le droit dans l’intérêt de tous
Une leçon inaugurale sur « l’articulation de l’intérêt général avec les intérêts privés dans l’office du juge administratif » a planté le décor de ce colloque. Le développement fait par l’enseignant-chercheur à l’Université de Kara et juge à la Cour constitutionnelle du Togo, Pr Babakane Coulibaley, a permis de montrer qu’au-delà de ce que peuvent penser certains citoyens, les services ou institutions de l’Etat peuvent être jugés, s’ils portent préjudice aux personnes privées. Selon lui, cette compétence relève du tribunal administratif ou de la chambre administrative présidée par un juge spécial qu’est le juge administratif. Les procédures utilisées par ce juge spécial dans le traitement des recours et l’application des règles de fond ont été mises en évidence. Au départ, ce juge qui se contentait de préserver les prérogatives de l’administration s’est ouvert progressivement à la défense et à la protection des droits des particuliers, pour rechercher, chaque fois, un équilibre entre les activités qui s’accomplissent dans un but d’intérêt général, a indiqué Pr Coulibaley. Le juge administratif devra faire en sorte que son activité ne soit pas compromise, a-t-il relevé.
Dans cette dynamique, il a salué l’engagement des juristes à dynamiser le contentieux administratif au Togo. Cette volonté a été matérialisée récemment par l’attitude de la chambre administrative de la Cour suprême qui a rendu une décision contestant une usure de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), en donnant gain de cause au journal qui contestait la mesure de suspension, a-t-il indiqué.
De son côté, le Pr Nadjombé Gbéou-Kpayilé, enseignant-chercheur à l’Université de Kara, en abordant les perspectives nationales, a déroulé une communication sur la saisine en se fondant sur l’expérience du Bénin qui expérimente « L’exception du recours parallèle devant le juge administratif béninois ». Selon lui, dans la jurisprudence du Togo, il n’y a pas une application de cette théorie née en France et qui consiste à donner les possibilités pour le requérant qui saisit le juge, par exemple pour l’annulation d’un acte administratif, d’utiliser le recours le plus intéressant. « S’il y a d’autres possibilités, il n’a pas besoin d’utiliser le recours pour excès de pouvoir, le recours en annulation. On lui demande simplement d’utiliser le recours disponible qui va lui permettre d’avoir le même résultat que s’il utilisait le recours pour excès de pouvoir », a expliqué Pr Gbéou-Kpayilé. Ainsi, l’analyse de cette théorie a éclairé la lanterne des uns et des autres sur la manière, dont le juge béninois a pu intérioriser cette théorie dans les juridictions de son pays.
Instrument d’affermissement de l’Etat de droit et de la démocratie
A l’ouverture du colloque, le directeur général de l’ISDI, Dr Franck Kossi Somali, a relevé que le contentieux suscite d’importantes problématiques ayant trait à la légalité de l’acte criminelle, de responsabilité de l’administration pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public, de révocation d’agents publics. Malheureusement, face à ces dérapages, les citoyens hésitent à saisir le juge administratif, pensant « devoir mener un combat de pot de terre contre un pot de fer ». Pour Dr Somali, la vulgarisation de la juridiction administrative, des règles de compétence et de subtilités procédurales, du coût et de la durée du procès, demeure un défi.
En faisant l’historique de la naissance de l’appareil judiciaire après les indépendances, il a rappelé que les bases du contentieux administratif furent jetées par le décret de 1881 aux aurores de l’aventure coloniale. Au Togo la réorganisation de ce système judiciaire a été précisé par le décret du 23 novembre 1954 en pleine IVe République et sous le président René Coty. Dr Somali a souhaité que cette conférence qui a servi de cadre de dialogue générationnel investisse les juristes à continuer de tracer le sillon du contentieux administratif et à le hisser au niveau qui doit être le sien dans la consolidation d’une société démocratique.
Patouani BATCHAMLA
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